Sur le fond de la question de l’immigration, je suis totalement en phase avec le communiqué de la Fédération Protestante de France. J’en cite un extrait : « L’accueil de l’étranger est au cœur du message chrétien. Les protestants français n’oublient pas non plus que beaucoup de leurs ancêtres ont connu un exil forcé. À ce titre la Fédération protestante de France soutient les actions de La Cimade comme celles des Églises et des autres associations membres de la Fédération de l’Entraide protestante. La Fédération protestante de France rappelle que les personnes migrantes arrivant en Europe ou dans notre pays sont d’abord des personnes humaines contraintes, pour de multiples raisons, de quitter leur pays et qui s’engagent dans des périples dangereux, souvent au péril de leur vie. En effet, les conditions d’accueil en France ne sont pas, contrairement à ce qui est souvent affirmé, les raisons de leur migration ». En fait tout le communiqué serait à citer.
Une inconscience effrayante
Là dessus, des péripéties politiques diverses et des arrières pensées électoralistes ont conduit à adopter un projet de loi qui va complètement à rebours de ce à quoi rendait vigilant le communiqué de la FPF.
Je remercie Aurélien Rousseau qui a mit le holà, et tous les députés de la mouvance macroniste qui ont voté contre ce projet de loi (et en particulier Sacha Houlié, député de la circonscription voisine de la mienne), qui ont eu le courage de dire non, tout en sachant qu’ils se marginalisaient, de fait, au sein de ce mouvement.
Mais ce sont les réactions à ces oppositions internes qui m’ont le plus effrayé. D’après le journal le Monde, Emmanuel Macron aurait accueilli les députés récalcitrants en disant : « Qu’est-ce qui ne vous va pas dans ce texte ? », comme si la réponse à cette question n’était pas évidente. Plus tard, le même a présenté, lors d’une interview télévisée, ce projet de loi comme un « bouclier », ce qui en dit long sur sa vision de l’immigration.
Or, quiconque a accompagné, de près ou de loin, des personnes arrivant en France, sait que leur parcours d’insertion est une course d’obstacle épuisante et qu’il n’est nul besoin de rajouter des difficultés pour décourager des personnes.
Tout cela témoigne d’une ignorance effrayante du désespoir dans lequel vivent les personnes quittant leur pays et de la souffrance qu’elles vivent d’ores et déjà en arrivant en France. Il suffirait d’aller un peu sur le terrain pour en prendre la mesure.
En l’occurrence, et pour faire passer son projet de loi, le président de la république a pratiquement intégralement accepté les amendements demandés par LR, et il est assez malvenu de s’étonner que des gens plus à gauche que LR prennent mal une telle option. De même ironiser sur les « bonnes âmes qui lui disent : c’est pas bien ce que vous faites », comme le rapporte encore le journal le Monde est déplacé. Le débat se serait donc « embrasé », il s’agirait d’une tempête dans un verre d’eau… Que dire devant de telles affirmations ? Ou bien il s’agit de la réaction de défense de quelqu’un qui ne veut pas admettre qu’il s’est fait piéger, ou bien il s’agit vraiment d’une ignorance voulue et entretenue de ce que pensent les bonnes âmes en question, dont je fais partie.
Le jeu dangereux avec le conseil constitutionnel
Là-dessus je découvre aussi dans la presse (cette fois-ci, c’est le site de l’Obs) que le président de la République et la Première ministre Elisabeth Borne, ont convaincu la ministre de l’enseignement supérieur de ne pas démissionner en lui assurant (selon l’entourage de la ministre) « que les mesures concernant les étudiants » dans ce texte, notamment la caution demandée aux étudiants étrangers, « seraient révisées si elles n’étaient pas censurées par le Conseil constitutionnel ».
Là il est difficile de dire plus clairement que président et première ministre espèrent que le conseil constitutionnel va censurer une partie de la loi. Autre manière de dire que l’on est prêt à accepter une loi, à la défendre, à s’en vanter, tout en espérant que d’autres vont se charger de revenir à plus de justice. En d’autres termes, on est dans le symbole et l’électoralisme le plus complet, très très loin d’une politique qui correspond à des convictions que l’on assume.
Et cette manière de compter sur le conseil constitutionnel pour rectifier le tir est dangereuse : on dérive vers un scénario à l’américaine où c’est le cour suprême qui fait la loi et non pas les élus de la république.
Alors les immigrants ?
Porter un peu attention aux immigrants, à leur parcours, à leur souffrance est-ce être aveugle ? Là aussi, il suffit d’avoir, ne serait-ce que vaguement, contribué à accueillir des immigrants pour savoir qu’ils ne passent pas leur temps à faire des sourires à ceux qui les accompagnent, qu’ils ne sont pas toujours reconnaissants, que certains essayent de profiter voire d’abuser de l’aide qui leur est apportée. Bref, les immigrants ne sont pas des bons immigrants : ils sont comme chacun de nous ; surprise !
Mais là n’est pas la question. Comme le dit le texte de la FPF, il vaut la peine de se souvenir de notre histoire : est-ce que jamais personne n’est venu à notre aide alors que rien ne l’obligeait à le faire ? Ce n’est pas une histoire de mérite, de rectitude morale ou quoi que ce soit, c’est juste prendre la mesure du fait que nous sommes dépendants les uns des autres.
J’entends aussi que « nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ». Oui, bien sûr. Mais parler ainsi, c’est supposer qu’il y a la misère du monde d’un côté et nous de l’autre. Comme si nous n’étions pour rien dans cette misère.
Et passer tant de temps à supposer que tous nos problèmes viennent de cette « misère » qui pourrait nous « envahir » et contre laquelle il faudrait construire des « boucliers », c’est détourner très largement le regard de nos insuffisances qui apparaîtraient plus clairement à nos yeux si nous n’usions pas, sans cesse, de ce bouc émissaire commode.