Face à la Russie, comment devons nous réagir ? Devons-nous, sans plus attendre, nous préparer au pire ?
« Je n’exclus rien, parce que nous avons face à nous quelqu’un qui n’exclut rien, a déclaré voici quelques jours Emmanuel Macron dans une interview au journal britannique The Economist. Nous avons sans doute été trop hésitants en formulant les limites de notre action à quelqu’un qui n’en a plus et qui est l’agresseur ». Pour comprendre les enjeux qui se posent à nous, le dernier numéro de la revue intitulée « De la guerre » (qui est éditée par le ministère des armées et les éditions Perrin) peut guider notre réflexion. Jean Lopez, expert en questions stratégiques, en est le maître d’œuvre. Il répond à quelques questions pour les lecteurs de Regards protestants.
L’idée de guerre : une perspective différente côté français et côté russe
« La France ne connaît pas d’engagement des conscrits depuis 1962 – et encore, le conflit algérien ne mobilisait-il qu’une partie de la population masculine en âge de combattre, nous rappelle Jean Lopez. En réalité, il n’y a plus d’engagement de masse des conscrits depuis 1944-45. La guerre a donc disparu de l’horizon de nos compatriotes depuis trois générations. Cela s’est beaucoup approfondi depuis la suppression du service militaire obligatoire, par Jacques Chirac, en 1995. Nous nous sommes déshabitués de l’idée même d’envoyer nos enfants à la guerre et nous approuvons le fait d’avoir confié cette tâche à des professionnels, eux-mêmes impliqués en petit nombre dans des conflits très peu meurtriers. »
La guerre ne paraît donc plus un enjeu pour nos concitoyens. Est-ce le cas pour la population russe, dont certains chez nous continuent à espérer la révolte contre Vladimir Poutine ?
« En dépit du poids écrasant du carnage de la Seconde guerre mondiale – qui a coûté la vie à près de 27 millions de soviétiques – le régime a continué à mobiliser puissamment sa population dans l’idée d’une guerre thermonucléaire, observe Jean Lopez. J’ajouterai que les conscrits ont été encore envoyés au combat entre 1979 et 1989 (en Afghanistan) puis durant les deux guerres de Tchétchénie, entre 1994 et 2005. Le service militaire obligatoire n’y étant pas aboli, nous avons affaire à un pays où la perspective de la guerre, où la présence des militaires, demeurent. »
L’émergence d’un pacifisme actif, espéré par nombre de commentateurs depuis deux ans, tient du vœu pieu, voire de l’illusion. Certains militants se sont mobilisés, notamment les mères de soldats, voici quarante ans, qui les premières ont protesté contre les conditions d’emploi des conscrits. Mais, aujourd’hui encore, le pacifisme est marginalisé.
La stratégie militaire des russes a même tendance à se durcir. « L’armée soviétique avait été bâtie sur un modèle de conscription de masse, très offensive, explique Jean Lopez. A la fin de l’ère soviétique, donc du temps de Mikhaïl Gorbatchev, à la fois du fait des conditions économique de l’URSS et des difficultés à suivre le rythme de modernisation des armées américaines, les autorités russes ont choisi de compter davantage sur leur arsenal nucléaire. »
Et cet expert de constater qu’à l’Est, suivant ce que l’on pourrait prendre pour une vogue déjà populaire au sein de l’Union européenne, s’est répandue l’idée – nous allions écrire l’espoir – que l’on pouvait éviter l’affrontement sanglant, massif, par des approches indirectes, diplomatiques, fondées sur des influences subversives. Une telle évolution s’est en accompagnée – en Russie comme ailleurs, mais moins qu’ailleurs tout de même… – d’un rééquilibrage entre la conscription et la professionnalisation. Les premières semaines de la guerre en Ukraine ont marqué l’échec de cette stratégie. Les dirigeants Russes en reviennent à l’idée que la guerre demeure un affrontement massif, direct, une épreuve très longue, qui nécessite une adhésion de l’ensemble des citoyens aux objectifs fixés par le pouvoir.
Emmanuel Macron, par ses dernières déclarations ne cherche-t-il pas à préparer l’opinion à des revirements comparables ?
« Je ne pense pas que le président de la République ait jamais eu en tête d’adopter le modèle que Vladimir Poutine est en train de mettre en place, estime Jean Lopez. Il ne peut pas revenir sur la professionnalisation des armées parce que la société ne l’accepterait guère et parce qu’une expansion des moyens militaires serait très difficiles à mettre en œuvre, étant donné l’appauvrissement dramatique de l’Etat. S’il est vrai que le budget des armées va augmenter, ce n’est pas dans des proportions spectaculaires ; on va pousser les industriels à augmenter leur capacité de production, mais il ne faut pas s’attendre à quelque chose d’aussi important que ce que font les Russes. Mais au fond, qu’est-ce qui justifierait aux yeux des Français pareil changement ? Jusqu’à présent, nous ne sommes pas en état de guerre. » Oui, jusqu’à présent…