Ce fut comme un cri du cœur au milieu des brioches: « A la fin des fins, vous pouvez me croire, dans quelques mois, nous aurons disparu ! » Les clients restèrent médusés. Catherine, la patronne de leur boulangerie favorite, exagérait-elle ? Bien sûr, ils savaient qu’au premier janvier 2023, le prix du gaz et de l’électricité allait augmenter de façon substantielle. Mais ils pensaient que, l’Etat s’étant engagé à proroger le bouclier tarifaire, donc à rembourser les augmentations décidées par les fournisseurs de gaz et d’électricité, les commerçants de leur ville allaient traverser la crise sans encombre. Eh bien non. Du moins peut-être pas…

Catherine et Philippe exercent leur talent dans le centre d’Angers, joyau du Maine-et-Loire – avec Saumur la protestante évidemment. Lui fabrique, aidé par ses commis, des pains de toutes sortes, des viennoiseries, des tartelettes, une farandole de friandises à vous faire oublier que la gourmandise passe pour un péché. Elle porte un regard attentif à la marche des choses, dirige la brigade rieuse et rigoureuse des jeunes vendeuses. Bien à l’abri de leur appartement, Catherine et Philippe expliquent les raisons de leur pessimisme.

Facture d’énergie

« Nous évoluons dans un paysage en grand péril, déplore Philippe. Deux exemples vous le feront comprendre. D’une part, un restaurateur de la ville emploie dix-sept personnes, relate Philippe. Le 5 janvier prochain, sa facture d’énergie va passer de 31 000 euros à 115 000 euros. Ses interlocuteurs – y compris les représentants de l’Etat – lui répondent que son compteur est trop important pour lui permettre de bénéficier du bouclier énergétique. Etant donné qu’il lui reste un an d’emprunt à rembourser, il envisage de mettre la clé sous la porte. D’autre part, le MIN, Marché d’Intérêt National Angers-Val de Loire [équivalent local de Rungis en Ile-de France NDLR] va voir sa facture d’électricité passer de 90 000 à 420 000 euros. Là non plus, le bouclier tarifaire ne sera pas opérationnel. Pour faire face à la situation durant l’année 2023, les responsables du MIN vont piocher dans les bénéfices de la structure et son épargne. Mais si la situation perdure en 2024, comment vont-ils faire ? »

Inquiétudes

Catherine et Philippe ont toutes les raisons d’appréhender la rentrée de janvier.

« J’ai adressé trente-deux factures aujourd’hui, souligne Catherine. Si les entreprises qui me doivent de l’argent ne peuvent plus me payer, moi, je ne peux plus honorer le paiement des salaires, ni même honorer nos propres factures d’énergie. »

Certes, les contrats de gaz et d’électricité de leur boutique sont bloqués pour le moment. Mais Catherine et Philippe redoutent que, face à la pénurie, les critères de blocage des prix changent et qu’ils subissent à leur tour une augmentation considérable.

« Un de mes fournisseurs a vu son contrat d’énergie débloqué, sans raison apparente, s’inquiète Philippe. Il a dû stopper les investissements qu’il envisageait de réaliser, ce qui ralentit la modernisation de son entreprise et l’affaiblit d’autant. Il y a quelques jours, le président de la Chambre de Commerce Départementale a rassemblé les professionnels du secteur et l’ambiance n’était vraiment pas aux petits fours… »

On a bien vu durant les différentes phases de confinement à quel point les commerces alimentaires étaient essentiels à la vie collective. L’augmentation du prix de l’énergie fait peser sur eux notre société des menaces très lourdes, sur un plan économique autant qu’humain.
Du côté du gouvernement, les ministres et les hauts fonctionnaires concernés s’activent, bien conscients que la situation est grave. Il y a quelques jours, l’hypothèse de délestages dans la fourniture d’électricité a provoqué la mobilisation des syndicats professionnels, notamment dans le secteur de l’alimentation.

Une action renforcée du gouvernement

« Depuis plusieurs semaines, de nouveaux dispositifs sont à l’étude, nous révèle Thibault, responsable de haut niveau au ministère de l’Economie et des Finances [le prénom a été changé NDLR]. Nous poursuivons trois objectifs : renforcer ce qui existe déjà, notamment le bouclier tarifaire, simplifier les procédures d’accompagnement (car actuellement, nous devons le reconnaître, les gens doivent présenter un trop grand nombre de pièces comptables pour obtenir des aides), enfin mieux informer les entrepreneurs et les artisans. »

Pour cela, le gouvernement va s’appuyer sur les réseaux consulaires, autrement dit les Chambres de Commerces et d’Industrie (CCI) et les Chambres de Métier et d’Artisanat (CMA).

« Nous leur avons demandé de désigner, à l’échelon local, une personne qui puisse répondre aux questions, donner des solutions concrètes aux problèmes qui se posent ou se poseront, souligne Thibault. Nous avons dû les former, ce qui a pris un peu de temps et peut-être généré des inquiétudes ; mais, dès le mois de janvier, ces conseillers seront à l’œuvre et soulageront les entreprises en difficulté. Nous voulons que les aides fournies se complètent et couvrent un champ d’action le plus large possible afin de ne laisser personne sur le bord de la route. »

On note au passage que les CCI prendront l’initiative d’informer les entrepreneurs, alors que ce sont les artisans eux-mêmes qui devront solliciter une aide auprès des CMA. Cela ne reflète pas une inégalité de traitement, mais un souci d’efficacité : l’extrême variété des situations dans le domaine de l’artisanat rend difficile une intervention préalable des services publics. Il faut aussi briser net la circulation d’informations erronées.

« Des élus des CCI font croire que la France n’a donné que dix milliards d’aides alors que l’Allemagne en aurait fourni 200, déplore Thibault. C’est doublement faux. D’abord parce que le montant des aides fournies chez nous s’élève à 32 milliards, ensuite parce que la somme annoncée chez nos voisins ne correspond qu’à des promesses, dont les mesures concrètes ne sont même pas encore envisagées. »

Ces informations suffiront-elles à calmer les angoisses des entrepreneurs et artisans? Espérons surtout qu’elles se traduiront rapidement dans les faits. Lorsque Catherine a prédit devant des clients la fermeture de sa boutique, un quidam a déclaré: « Prenons garde ! En France, quand la pénurie gagne les boulangeries, ce n’est plus le pain que l’on tranche ! » Le Maine-et-Loire, une terre d’humour et d’Histoire…