Des “incohérences”, une “fraude”. Pour les perdants de l’élection présidentielle algérienne, c’est sûr : les chiffres communiqués par l’Agence nationale indépendante des élections (Anie) après la réélection d’Abdelmadjid Tebboune, dimanche 8 septembre, sont faux. Lundi, l’Algérie s’est réveillée dans un climat de fronde. Un peu avant une heure du matin, les directions de campagne d’Abdelaali Hassani Cherif (islamiste) et Youcef Aouchiche (FFS, laïc) ont signé un communiqué commun, dans lequel ils dénoncent les “imprécisions”, les “contradictions”, les “ambiguïtés” et les “incohérences” dans les chiffres. Le communiqué a même été signé par l’équipe du président, souligne Le Figaro.

Quand il a annoncé les résultats provisoires, Mohamed Chorfi, le président de l’autorité, s’est concentré sur le score réalisé par les candidats. Il n’a alors pas précisé le taux de participation à la présidentielle. Mais samedi, après la fermeture des bureaux de vote, l’Anie avait évoqué une “moyenne de participation” de 48,03 %. Or, selon ses chiffres, si seuls 5,63 millions de votes ont été enregistrés sur un corps électoral de 24 millions de votants, le taux de participation avoisinerait les 23 %. “Un quart de l’électorat est un chiffre qui a du sens, estime un connaisseur des rouages électoraux en Algérie. Cela correspond au socle du système, c’est-à-dire les corps constitués (armée, police, administration) et la clientèle du pouvoir”, explique-t-il au quotidien.

Des résultats différents de ceux des bureaux de vote

Dans ce contexte, Abdelaali Hassani Cherif (MSP) n’a pas mâché ses mots. Lors d’une conférence de presse, il a parlé de “fraude” et de “mascarade” avant de revendiquer 500 000 voix au lieu des 178 000 voix comptabilisées par l’Anie. Autre candidat perdant, Youcef Aouchiche (FFS) est lui aussi revenu sur la situation devant les médias. Il a tenu à détailler les “irrégularités” dont il s’estime victime. Au lieu des 122 000 voix annoncées par l’autorité électorale, il en revendique quelque 300 000.

Comme Abdelaali Hassani Cherif, il insiste sur le fait que les résultats des bureaux de vote diffusés par l’Anie sont différents de ceux des procès-verbaux validés par cette même autorité. “Il semblerait que tout se passe bien dans les bureaux de vote, mais qu’une fois les procès-verbaux entre les mains des wilayas (préfectures, NDLR), les chiffres soient changés”, déclare le directeur d’un bureau de vote à Alger. Celui-ci rappelle qu’il avait déjà relevé de tels soucis lors des élections législatives de 2021. 

“Un cadeau empoisonné”

Interrogé sur la situation, un militant de l’opposition explique qu’au lieu d’asseoir la légitimité du président, l’élection le fragilise. “Non seulement il n’obtient pas le plébiscite attendu, puisqu’en gros 75 % des Algériens qui auraient dû voter se sont abstenus, mais il apparaît otage de son administration”, commente-t-il.

En dénonçant des erreurs, “le président a refusé un cadeau empoisonné”, analyse Otmane Lahiani, journaliste algérien. Mais selon lui, la déclaration des trois candidats est “dangereuse politiquement”, puisqu’“elle sape le processus électoral et remet en cause sa transparence. Elle admet clairement l’existence de manipulations dans les chiffres et les résultats, et pose des questions sur la crédibilité de l’autorité électorale”.

“Construire des institutions politiques légitimes”

Nacer Djabi, sociologue, partage le même avis. “Cette crise confirme ce en quoi je crois depuis des années : l’Algérie a besoin d’une réforme sérieuse de son système politique pour construire des institutions politiques légitimes, en ouvrant l’espace des libertés médiatiques et politiques”, développe-t-il. Dans les rangs de l’opposition on estime que la “fraude” pourrait avoir pour but de “déstabiliser le chef de l’État”, dont le mandat ne sera vraisemblablement pas de tout repos.