Au moment où de nombreuses voix plaident pour une refondation de l’Union européenne, celle-ci subit une double et douloureuse épreuve, qui met en question le projet même dont elle est porteuse. Elle doit d’abord faire face au Brexit, qui marque une rupture historique avec l’un des Etats les plus riches et les plus puissants du Vieux Continent, devenu un des piliers de la construction communautaire, malgré les multiples dérogations concédées par ses partenaires.

Elle doit ensuite affronter la dissidence de deux pays d’Europe centrale – la Hongrie et la Pologne -, entrés dans l’Union en 2004 après l’effondrement du communisme, qui, à la différence du Royaume-Uni, ne menacent pas d’en sortir mais qui mettent dangereusement en péril son unité. Ces deux événements – le divorce britannique, la révolte hungaro-polonaise – sont d’autant plus inquiétants qu’ils contredisent, pour la première fois depuis la naissance de la communauté européenne, le mouvement d’unification qui l’a toujours portée.

La rupture avec le Royaume-Uni est un grave échec pour l’Union européenne, l’un des plus graves de sa brève histoire. Il est vrai que les Britanniques ont souvent fait bande à part au sein de la communauté, refusant notamment deux de ses grandes avancées, la création de l’espace Schengen et la mise en place de la monnaie unique. Ils n’en ont pas moins apporté à l’Europe le poids de leur expérience, le rayonnement de leur passé, la force de leur diplomatie, l’amplitude de leur influence dans le monde.

Ils ont contribué d’une manière décisive à la construction du marché unique, à l’élargissement de la communauté au lendemain de la chute du mur de Berlin, à l’émergence d’une Europe de la défense. Leur départ est bel et bien « une perte pour l’Europe », comme le dit l’ancien ambassadeur français auprès de l’Union européenne, Pierre Sellal, qui parle d’une « amputation ». Un éventuel accord sur la future relation commerciale serait un moindre mal, mais il ne saurait masquer les importants dommage causés par le Brexit.

Le respect de l’Etat de droit

Le chantage exercé par les Hongrois et les Polonais, qui refusent d’approuver le vaste plan de relance européen si le versement des fonds est subordonné, comme le demande le reste de l’Union, au respect de l’Etat de droit, met également à mal l’unité de l’Europe. La Hongrie et la Pologne sont directement visées par cette condition. Les deux pays sont en effet accusés par leurs partenaires de violer impunément les règles de la démocratie en s’attaquant aux divers contre-pouvoirs qui assurent l’exercice des libertés publiques.

Les négociations continuent pour convaincre Budapest et Varsovie de renoncer à leur chantage. En cas d’échec, les gouvernements pourraient décider de s’entendre à vingt-cinq dans le cadre d’une « coopération renforcée » excluant les deux Etats récalcitrants, mais une telle démarche serait perçue comme un aveu de faiblesse. Au moment où le plan de relance est salué comme une étape importante de l’intégration européenne, le retrait virtuel de deux Etats issus de l’ancien empire soviétique serait un symbole déplorable.

Face aux actes de rébellion qui dressent contre l’Europe les Britanniques d’une part, les Hongrois et les Polonais de l’autre, l’UE n’a d’autre recours que de continuer le dialogue avec les Etats en dissidence. Avec le Royaume-Uni, elle doit tenter de maintenir des liens aussi solides que possible, dans tous les domaines où la coopération avec les Britanniques apparaîtra nécessaire. Avec la Hongrie et la Pologne, elle doit chercher un compromis sans sacrifier ses valeurs ni ses intérêts – en attendant que de nouvelles majorités issues des élections modifient la donne dans les deux pays.