La grande guerre avait mis aux prises, directement, des nations puissantes. La guerre froide avait surtout donné lieu à des conflits délocalisés, éparpillés sur l’ensemble du globe, les acteurs essentiels avançant leurs pions loin de leur territoire. Mais, dans les deux cas, la question a été posée : quelle conclusion tirer de la fin de tels conflits ?
Pour la guerre de 14-18 on connaît hélas la réponse : le conflit sous-jacent n’a été que mis entre parenthèses. Il a couvé pendant 30 ans, avant de reprendre de plus belle.
Pour la guerre froide, la réponse est plus complexe. J’ai visionné l’interview de Gorbatchev réalisée par Werner Herzog en 2018. Gorbatchev y fait un commentaire assez fort. Parlant des accords de désarmement, il dit que la logique de désescalade aurait pu aller plus loin si les Américains n’avaient pas considéré qu’ils « avaient gagné la guerre froide ». Mais, dit Gorbatchev, « qu’est-ce qu’ils avaient gagné ? » C’est là la grande question, que l’on ne se pose pas suffisamment à la fin d’un conflit. Même s’il y a un vainqueur, qu’a-t-il gagné, finalement ?
La reprise de la logique d’affrontement
En l’occurrence, dès le début des années 1990, les logiques d’affrontement et de course à la puissance ont repris le dessus, même si les acteurs concernés ont changé. L’attentat contre les tours jumelles, en septembre 2001, a sans doute marqué un tournant. Mais c’était déjà l’aboutissement d’un processus en cours.
On a l’impression que beaucoup de monde est prêt à en découdre. Du côté de l’ancien empire soviétique, les livres d’entretiens romancés de Svetlana Alexievitch, notamment La fin de l’homme rouge, montrent des populations nostalgiques de la grandeur passée de leur nation et notamment de sa grandeur militaire. De l’autre côté de l’ancienne barrière, on connaît aussi la fortune récente du slogan : Make America great again. Mais ces rêves de grandeur habitent beaucoup de nations, à commencer par la France. Et si une majorité de Britanniques ont voté pour sortir de l’Europe, c’est parce qu’ils trouvaient que la grandeur de leur pays n’était pas reconnue à se juste valeur.
A quoi cela sert-il donc d’être grand ? Cela console sans doute du mal de vivre. Mais est-ce que ce ne serait pas plus intéressant d’être grands tous ensemble ?
De fait, la compétition qu’elle soit économique, sportive, politique ou militaire, fait vibrer. Un simple jeu de société peut déchaîner des passions inattendues chez des personnes en général calmes.
Quoi qu’il en soit, le quant à soi, les politiques sécuritaires, les interventions prétendues préventives, la militarisation de la diplomatie et la course aux armements, ont fait de grands progrès depuis le début du XXIe siècle.
Est-ce que ce jeu dangereux, qui tend à se banaliser, ne va pas finir par nous exploser à la figure, un beau jour ? C’est une hypothèse qu’on ne peut pas exclure.
La paix et la réconciliation ne sont pas réservées aux naïfs
Récapitulons nos questions : A la fin d’un conflit qu’est-ce que le vainqueur gagne, finalement ? A quoi cela sert-il d’être grand ? Est-ce que ce ne serait pas plus intéressant d’être grands tous ensembles ? Est-ce que ce jeu dangereux ne va pas finir par nous exploser à la figure, un beau jour ? Si on les prend au sérieux, on se rendra compte que la solution rapide et évidente, devant une difficulté, qui consiste à tenter de passer en force et à ne pas tenir compte des objections ou de la souffrance des autres, est finalement un raccourci de court terme qui ne résout rien.
Or, vu que j’appartiens à un branche pacifiste du protestantisme, j’entends souvent objecter que la non-violence est utopique, voire naïve. Mais est-ce qu’elle n’est pas la seul voie porteuse d’avenir, finalement ? Est-ce qu’il n’y a pas plus de promesses et plus de vie à essayer de se mettre d’accord avec son adversaire ?
Que penser de ceux qui cherchent à se grandir sans limite ? Il ne sont pas forcément naïfs, mais ils sont assurément infantiles. Et me vient à l’esprit le mot de l’Ecclésiaste : « Malheur à toi, pays dont le roi est un enfant » (Ecc 10.16). A titre personnel, je ne souhaite pas être gouverné par un enfant. Et le premier pas du réalisme est, dès lors, d’essayer de construire quelque chose avec l’autre, aussi différent soit-il de moi.