Avec près de 300 millions d’utilisateurs réguliers, Twitter est devenu une caisse de résonance majeure aux idées de tout citoyen qui le souhaite. S’y côtoient le bon et l’exécrable, mêlés au gré des impulsions de rédacteurs anonymes ou non.

Une liberté à haut risque

Les récents procès concernant les abus dans le contenu des messages émis sur ce réseau illustrent le caractère incontrôlable de l’exercice de la liberté. Les débats ouverts ont trait avant tout à la modération, par exemple à l’occasion de la présidence de Donald Trump ou lorsque des États entendent censurer des messages homophobes ou racistes. Au sein même des Églises, le réseau est employé avec bonheur pour faire connaître des positions ou des rencontres paroissiales, mais nombre de pasteurs accompagnent des jeunes pris dans un flot de messages discriminants ou accusateurs. Faut-il alors que les Églises prennent directement part à la lutte pour le respect d’autrui en intervenant massivement sur les réseaux sociaux ? On sait la nature dangereuse de la liberté d’expression quand elle permet de détruire en un message rageur ce qu’on ne peut reconstruire qu’en dix.

Risquer de se prendre pour Dieu

En rachetant Twitter, Elon Musk devient l’icône d’une évolution du monde et entraîne avec lui une partie de la société. Dans une civilisation où la richesse financière n’a plus de limite, tout peut aujourd’hui s’acheter, y compris des idées immatérielles. Au point qu’un homme puisse acquérir seul un lieu de liberté universelle et donner à chaque être humain sur le globe la capacité d’intervenir dans le monde entier. Elon Musk est peut-être le premier homme à offrir et garantir au monde le libre exercice d’une valeur humaine universelle : la liberté d’expression. Ceux qui pensent qu’une valeur ne s’achète pas diront qu’il est le premier à la monétiser. Mais le fait même qu’un être humain puisse à lui seul influer sur une valeur universelle, ou qu’un quelconque militant puisse acquérir par des tweets un espace d’expression quasiment infini les rapprochent de Dieu… ou de la tour de Babel.

L’anonymat et l’intimité de la foi

Se sentant invulnérables par leur anonymat et la facilité de changer d’identité, de nombreux internautes débrident leur conscience pour se moquer, injurier, menacer. Par ailleurs, les progrès technologiques permettent de recevoir le flot d’informations ou de réactions directement sur un smartphone à toute heure. L’information entre ainsi dans la sphère de l’intime et jusque dans la sphère spirituelle lorsque des interventions malveillantes irriguent des réunions paroissiales non sécurisées. Cela n’est bien sûr pas propre à Twitter. Mais la volonté de son propriétaire d’enlever toute modération à cet outil de partage risque de menacer directement l’intimité des personnes. Le mal engendrant le mal par mimétisme ou parce que les sujets les plus négatifs deviennent souvent viraux, la bienveillance est menacée. Au point que des réseaux sociaux se créent aujourd’hui comme Altruwe, partant du constat que l’altruisme est une valeur positive commune à tout lien profond entre les personnes. Car l’un des enjeux de ce monde moderne est la notion de lien, la capacité des réseaux à relier les personnes, comme c’est d’ailleurs la définition du terme Religion (religere).

Les Églises auront une mission essentielle d’éducation, de prise de distance, de décryptage de ce qui se joue et de rappel de la réalité des vies qui sont derrière les messages et les réactions. Cette éducation de chacun à la relation, qui est de nature éminemment spirituelle, est plus que jamais nécessaire.