Mesdames, messieurs, c’est du courage qu’il faudrait montrer aujourd’hui !

C’est comme si la vie politique française était suspendue à « ce que l’on croit que les électeurs vont penser ». Mais les responsables politiques n’ont-ils pas pour mission de montrer à leurs concitoyens une réalité plus haute, plus noble que ce que la peur ou les intérêts particuliers peuvent souhaiter ? Prenons un exemple simple : à chaque nouvelle réglementation qui vise à freiner la vente de cigarettes, les buralistes montent au créneau et protestent contre leur « asphyxie ». Pourtant, le rôle de l’État est bien de penser d’abord à la santé de la population, même si pour cela, il faut que le métier de buraliste supporte des changements. Il en est du sujet des migrations comme du reste : c’est à l’État de proposer un discours, un rêve qui permette à la population de s’unir dans la même direction. Quel pourrait être ce rêve ? Je le dis tout net : c’est ouvrir les frontières !

Ouvrir les frontières maintenant

Ne refermez pas tout de suite ce bon journal… Ce que je dis là n’est pas le fruit d’un esprit « baba cool » mais la conclusion de deux chercheurs. Michel Agier est anthropologue, directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement et directeur d’études à l’EHESS. François Gemenne est politologue, enseignant aux universités de Liège et de Versailles-Saint-Quentin, directeur exécutif du programme « Politiques de la Terre » à Sciences-Po. Leur démonstration est convaincante ! Parmi les dix raisons d’ouvrir les frontières maintenant, ces chercheurs ont mis en évidence que ce sont les murs qui causent la mort des milliers de migrants par an et pas la migration. Si, au lieu d’empêcher ces hommes et ces femmes de passer, on installait des bureaux qui permettent à tout un chacun d’obtenir un visa (comme nous Français, quand nous voulons voyager), non seulement cela couperait les vivres aux passeurs et autres marchands d’humains, mais en plus l’Europe économiserait les milliards qu’elle a dépensés pour tenter – en vain – de protéger ses frontières. En vain, car les personnes désespérées tenteront jusqu’au bout – jusqu’à la mort – d’échapper au malheur. Que l’on repense au sinistre Mur de Berlin et à tous ceux qui sont morts pour avoir tenté de le franchir. En 1989, lors de sa destruction, nous avons pleuré de joie et chanté « Plus jamais ça ». Aujourd’hui, dans le monde, ils sont 40, ces murs qui font la honte de l’humanité.

Le projet migratoire est légitime

Pourquoi un projet migratoire serait-il illégitime ? Aujourd’hui, quand de jeunes Français partent à l’étranger, on salue leur esprit d’initiative, d’entreprise, leur ouverture à l’autre ! Quand ce sont des étrangers qui viennent de pays plus pauvres que la France, ces jeunes gens sont considérés comme des profiteurs, des lâches qui fuient un pays en guerre au lieu de se battre… Selon le lieu de naissance, on est courageux ou méprisable ? Mais aujourd’hui, en effet, selon le lieu de naissance, on a le droit de voyager et des chances de réussir sa vie, ou le droit de vivre misérablement, dans le meilleur des cas. L’idée que le monde serait meilleur si personne ne sortait de son pays ne tient pas. Les immigrés sont les premiers investisseurs dans leur pays d’origine. Ce sont eux qui aident à diminuer les inégalités. Messieurs et Mesdames les responsables politiques, ayez enfin le courage de nous proposer une autre vision du monde que celle qui cultive la peur et les préjugés. Ouvrir les frontières ? L’Europe peut le faire ! Ce serait sa grandeur.