Il est habituel, surtout en France, d’accuser l’Europe de tous les maux. Dès que survient une crise, elle serait, selon ses détracteurs, incapable de s’unir et trop faible pour prendre la moindre décision. Paralysée par les pesanteurs de sa bureaucratie, elle ne serait qu’un grand corps malade hors d’état de répondre aux défis du monde extérieur. Dernier exemple en date, les retards de l’Union européenne dans sa campagne de vaccination contre le Covid seraient la preuve de son impuissance face aux menaces imprévues. Faute de promptitude et de détermination, elle aurait échoué une fois de plus à honorer un rendez-vous historique.

Les critiques des eurosceptiques ne sont pas toujours sans fondement. Il est vrai que les Européens manquent souvent de réactivité quand des événements extérieurs viennent bousculer sa routine et perturber ses pratiques. Ses divisions, ses lenteurs, la complexité de ses procédures, ne lui permettent pas d’agir avec la célérité voulue là où ses grandes rivales – les Etats-Unis, la Russie, la Chine ou, depuis le Brexit, le Royaume-Uni – ont les mains plus libres. On ne rappellera jamais assez  que l’UE n’est pas un Etat, mais une confédération d’Etats-nations, pour reprendre une formule popularisée par Jacques Delors. Elle n’a pas les moyens de riposter aussi rapidement que des Etats souverains.

Pourtant le procès qui lui est fait aujourd’hui à propos de la gestion de la pandémie paraît injuste à bien des égards. Il laisse de côté les avancées considérables qu’a connues l’intégration européenne à la faveur de la crise sanitaire. Sans oublier les insuffisances de l’Europe dans son combat contre le Covid, il faut aussi rendre hommage à ses réussites. Celles-ci sont d’autant plus surprenantes que la santé ne fait pas partie des compétences de l’Union européenne et que celle-ci n’était pas préparée à prendre en charge ce lourd dossier.

De l’inertie au sursaut

Elle l’a fait pourtant, avec beaucoup d’énergie, d’abord en négociant des achats groupés de vaccins, ensuite en bouleversant ses règles fondamentales – à commencer par les fameux critères de Maastricht – , enfin en lançant un plan de relance européen d’une ampleur exceptionnelle. Un plan de 750 milliards d’euros qui repose à la fois – innovation majeure – sur une mutualisation de la dette, sur la création de ressources fiscales nouvelles et sur une volonté d’investissement dans deux domaines d’avenir : la transition climatique et l’industrie numérique. Bref, l’Union européenne n’a pas failli. Malgré ses atermoiements et parfois ses erreurs, elle a, pour l’essentiel, démontré son efficacité.

Alors pourquoi l’opinion publique a-t-elle tendance à retenir les échecs de l’Union européenne plutôt que ses succès ? Peut-être parce que l’Europe elle-même, face aux épreuves, commence presque toujours par afficher ses hésitations et ses faiblesses avant de se ressaisir et de mettre au point la bonne réponse. C’est la thèse soutenue par deux experts, Elie Cohen et Richard Robert, dans un livre récemment paru aux éditions Fayard La valse européenne. Les trois temps de la crise. Dans la crise financière de 2008 comme dans la crise sanitaire de 2020, disent-ils, le premier réflexe de l’UE a été de ne rien faire, en méconnaissant la gravité du problème. Dans un deuxième temps, elle a improvisé des mesures d’urgence pour venir en aide aux Etats les plus touchés. Dans un troisième temps, enfin, elle a mis en place des politiques nouvelles qui ont modifié en profondeur son fonctionnement.

Telle semble être la démarche de l’Union européenne. D’abord elle déçoit en intervenant d’une manière tardive et inadaptée. Ensuite la machine communautaire se réveille et son action prend de la consistance. Enfin les lignes rouges sont franchies et l’Europe se réinvente. Charles Jaigu parle à ce propos dans Le Figaro de « cette mystérieuse alchimie de l’inertie et du sursaut ». Le premier mouvement de la valse est plutôt désastreux, le second corrige le pas, le troisième relance le rythme. « Trébuchement, jaillissement, stabilisation », résume le journaliste du Figaro. Pour convaincre ceux qui doutent encore des bienfaits de l’Europe, celle-ci devra éviter, lors à de la prochaine crise, de rater son entrée dans la danse.