Il y a dix ans jour pour jour, le 18 mars 2014, la Crimée était officiellement annexée par la Russie. Tout avait commencé en 2013. La population ukrainienne avait pris l’habitude de se regrouper à Kiev pour protester contre un pouvoir corrompu et réclamer un rapprochement avec l’Union européenne. Aujourd’hui, la Crimée fait figure de vitrine de la Russie de Vladimir Poutine, estime BFMTV. Pourtant, Kiev veut reprendre la péninsule à moyen ou long terme.
À compter du 27 février 2014, des hommes armés, en uniformes verts, apparaissent près des lieux stratégiques et institutions politiques de la Crimée. Ils ne portent aucun signe distinctif et prennent le contrôle de l’aéroport international de Simferopol et du Parlement de Crimée. L’effet de surprise fonctionne. Faute de moyens, les forces ukrainiennes laissent faire. Quant aux Occidentaux, ils se contentent de condamner ces actions.
Une histoire complexe
La Russie organise ensuite un simulacre de vote. À cette occasion, des députés élisent Sergueï Axionov, leader d’un microparti favorable à Moscou, au poste de Premier ministre. Sitôt nommé, il demande son rattachement à la Russie. Le 16 mars 2014, un référendum d’autodétermination est organisé. Le scrutin a lieu sans qu’aucun observateur international ne puisse veiller aux bonnes conditions de son déroulement dans la région occupée. Le résultat est sans appel : le rattachement à la Russie est validé par 96,8 % des voix.
L’histoire de la péninsule de Crimée est complexe. Cédée à la République soviétique d’Ukraine par Nikita Khrouchtchev en 1954, elle fait partie intégrante de l’Ukraine depuis son indépendance en 1991. Mais Vladimir Poutine s’est servi du passé russe du territoire conquis par Catherine II en 1783 pour justifier son annexion. Depuis 2014, la Crimée est une priorité du président russe qui entame son troisième mandat consécutif. Il souhaite en faire une vitrine de sa politique nationaliste. Pour y parvenir, il compte sur la construction d’autoroutes ou encore de centrales thermiques… De manière générale, Moscou investit massivement dans cette région, à qui elle a accordé un statut spécial et des avantages fiscaux. Preuve de l’attention qu’il accorde à la Crimée, Vladimir Poutine a fait de Sébastopol, sa plus grande ville, une “ville fédérale”. Seules Moscou et Saint-Pétersbourg disposaient auparavant de ce statut.
Forteresse russe
Transformée en forteresse russe, la Crimée a toujours été un territoire stratégique, mais la Russie a accéléré sa militarisation, explique BFMTV. Moscou met également en avant le tourisme, grâce aux stations balnéaires de la mer Noire qui offrent aux Russes la possibilité de profiter du climat méridional. Pour leur faciliter l’accès, et parachever la mainmise de la Russie sur la péninsule, un pont enjambant le détroit de Kertch a été inauguré en 2018.
Parallèlement aux actions de mise en valeur, une russification à marche forcée du territoire a été lancée. Un recensement concernant 2001 chiffrait à 58,5 % la part des habitants se disant d’ethnie russe, à 22,4 % ceux d’ethnie ukrainienne, et à 12,1% les habitants tatars, une minorité musulmane. Selon Carole Grimaud, spécialiste de la géopolitique russe et membre de l’Observatoire géostratégique de Genève, “le Kremlin applique en Crimée le même mode d’emploi que dans tous les territoires occupés : l’information est contrôlée, les communications avec l’Ukraine sont coupées, la langue ukrainienne est interdite”. La spécialiste ajoute : “Tout ce qui a trait à l’identité ukrainienne disparaît.” Au passage, la Russie fait flotter les drapeaux ici et là et accroche des portraits de Vladimir Poutine.
Répression
En avril 2023, ce dernier a fixé un ultimatum aux habitants de la Crimée. Soit ils choisiront de devenir russes avant le 1er juillet 2024, soit ils devront partir. “En Crimée, tout est conditionné à la détention du passeport russe. Sans lui, c’est très difficile de travailler, d’acheter un bien immobilier, de se faire soigner”, explique à BFMTV Carole Grimaud. Une manière de faire déjà testée dans le Donbass depuis 2019 et en Transnistrie.
Malgré toutes les attentions portées à la Crimée, Moscou n’y laisse rien passer. La moindre opposition est réprimée. La loi interdisant de discréditer l’armée russe vaut également dans la péninsule. Et depuis l’invasion de l’Ukraine, en 2022, la Russie est encore plus vigilante. Elle a également dans son viseur la minorité tatare. Celle-ci est réputée hostile à Moscou, ce qui vaut aux membres de sa communauté de nombreuses arrestations arbitraires.
Déportation des Tatars
Selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui affirme avoir “transmis une liste de citoyens ukrainiens, en particulier des Tatars de Crimée”, ceux-ci sont réprimés par la Russie dans les territoires occupés et “détenus dans des prisons et camps russes dans des conditions extrêmement cruelles et inhumaines”.
Déjà sous Staline, les Tatars avaient été victimes de persécutions. Alors qu’il était chef de gouvernement de l’Union soviétique, il avait fait déporter de nombreux musulmans vers l’Ouzbékistan en 1944, prétextant qu’ils avaient collaboré avec les nazis lors de l’opération Barbarossa.
Mouvement des “rubans jaunes”
Mais le rêve de Vladimir Poutine d’une Crimée entièrement russe se heurte à la guerre. Le 9 août 2022, la péninsule a été rattrapée par le conflit contre l’Ukraine. En 2023, l’armée ukrainienne a mené 184 frappes sur la péninsule. Si elle ne dispose pas, pour le moment, des moyens pour reconquérir la Crimée, l’Ukraine peut détruire des équipements russes. Dans la péninsule, certains habitants osent également “résister” à l’occupation russe, au travers du mouvement des “rubans jaunes”. De son côté, Volodymyr Zelensky dit vouloir reconquérir la péninsule. “L’agression russe de l’Ukraine a commencé en Crimée et c’est en Crimée qu’elle devra s’achever”, assure-t-il, rappelant qu’il n’y aura pas de pourparlers avec Moscou avant le retrait des troupes russes de tous les territoires occupés.