De tous les acteurs de la vie internationale, l’Union européenne, parce qu’elle doit tenir compte de la diversité des Etats qui la composent, n’est ni le plus puissant ni le plus influent. Mais s’il est un domaine dans lequel elle est convaincue de tenir le premier rang, c’est celui de la démocratie et des droits de l’homme. C’est en partie, depuis le siècle des Lumières, le produit de sa culture. C’est aussi le résultat de son histoire. La Communauté européenne, devenue l’Union européenne en 1993 en vertu du traité de Maastricht, s’est construite au lendemain de la seconde guerre mondiale contre deux dictatures honnies, celle du fascisme et celle du communisme, unies dans la même détestation pour avoir donné naissance, l’une et l’autre, comme l’a montré la philosophe Hannah Arendt, à deux totalitarismes.
La défense des libertés publiques et de l’Etat de droit (ce qu’on appelle en anglais the rule of law) est donc dans l’ADN de la construction européenne. Comme l’a déclaré Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, en présentant le premier rapport annuel sur la situation de l’Etat de droit dans l’Union européenne, ces valeurs « font partie de notre identité en tant qu’Européens ». Le respect de ces principes est une des conditions de l’adhésion à l’UE. Nul n’entre ici s’il n’est démocrate, pourrait-on dire en paraphrasant Platon. Il a fallu attendre la chute des dictateurs en Grèce, en Espagne et au Portugal pour que ces trois pays en deviennent membres dans les années 80. De même, ce n’est qu’après l’effondrement du communisme que les Etats de l’ex-empire soviétique ont demandé à y adhérer.
Un message et deux destinataires
Certes l’Union européenne n’est pas toujours un modèle. Il lui arrive de ne pas être à la hauteur de ses ambitions, voire d’être infidèle à ses propres idéaux. Mais ces idéaux restent son horizon et constituent sa raison d’être. Le message qu’elle adresse au reste du monde, à une époque où, selon Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, un cercle de réflexion qui porte les idées des pères fondateurs, « de plus en plus la force prime le droit », est que pour elle, au contraire, le droit prime la force. Une telle conviction est au cœur du projet européen. « Ces valeurs sont plus importantes que jamais », affirme Mme von der Leyen, pour qui « les atteintes à l’Etat de droit ne peuvent être tolérées ». « Le droit régresse partout, souligne M. Giuliani, et c’est pour l’Europe un défi ».
Le message de l’Europe est double. Ou plutôt il s’adresse à deux destinataires : les Etats membres de l’Union européenne d’une part, les Etats extérieurs à l’Union européenne de l’autre. C’est à l’égard des premiers que la Commission a décidé de publier chaque année le rapport mentionné plus haut sur la situation de l’Etat de droit en Europe. Ce document recense les pratiques des Vingt-Sept dans les quatre domaines considérés comme les piliers de la démocratie : l’indépendance de la justice, la lutte contre la corruption, le pluralisme et la liberté des médias, l’équilibre des pouvoirs. Principales cibles des critiques, la Hongrie et la Pologne refusent d’en tenir compte. Pour venir à bout de leur résistance, la Commission propose de conditionner le versement des subventions européennes au respect de l’Etat de droit. Elle a reçu l’appui du Parlement européen. « Il est inacceptable que ceux qui entendent saper l’Etat de droit soient prêts à prendre en otages le fonds de relance », affirment dans une tribune publiée par Le Monde les présidents des quatre grands groupes de l’Assemblée de Strasbourg.
A l’égard des pays hors de l’UE, les moyens de pression sont moindres. L’Europe connaît les limites de son pouvoir. Pourtant elle ne renonce pas, malgré sa relative impuissance, à condamner et à sanctionner les atteintes au droit partout où elles sont constatées, en Biélorussie, en Russie, en Chine ou ailleurs. « Nous devons toujours dénoncer les violations des droits de l’homme lorsqu’elles se produisent et où que ce soit, à Hongkong ou chez les Ouïghours », déclare Mme von der Leyen. Il peut y avoir des divergences sur la nature et la portée des sanctions, mais celles-ci font bien partie de l’arsenal dont dispose l’UE. La présidente de la Commission européenne propose même de le renforcer en adoptant une loi équivalente au « Magnitski Act » voté en 2012 par les Etats-Unis pour sanctionner des fonctionnaires russes après la mort en prison de l’avocat Sergueï Magnitski en 2009. « Nous croyons à la valeur universelle de la démocratie et aux droits de l’individu », proclame Mme von der Leyen au nom de l’Union. Le combat pour le droit, aussi incertain soit-il, pourrait être l’un des leviers de la relance de l’Europe.