On craint, notamment, les distorsions de concurrence et la prime donnée, ainsi, à des modes de production non respectueux de l’environnement. Officiellement, l’accord avec le Mercosur contient des engagements de chaque partie à développer des modes de production soutenables. A court terme, la perspective de cette signature a convaincu le président brésilien Bolsonaro de ne pas sortir de l’accord de Paris. Mais on voit bien les limites de tels engagements généraux et dépourvus de critères concrets de suivi.

Concernant le CETA (projet d’accord avec le Canada), Nicolas Hulot a raison de souligner que le Canada autorise l’utilisation en agriculture de 46 molécules proscrites en Europe et l’emploi, dans les élevages, d’antibiotiques avec activateurs de croissance. Il souligne aussi le recours canadien au gaz de schiste pour la production d’hydrocarbures. Pour ce qui est du Mercosur, il est raisonnable de penser que l’accord va accroître la déforestation amazonienne si aucune régulation explicite n’y met fin.

Et en dehors même de ces projets d’accord multilatéraux, le quotidien européen montre les difficultés énormes engendrées par l’ouverture des frontières économiques. C’est une prime au moins disant social, fiscal et environnemental, contre laquelle il est très difficile de lutter.

L’économie est la politique des paresseux

Or la conviction des promoteurs de l’Europe, après guerre, était que l’intégration économique provoquerait une convergence des sociétés. Jusqu’à un certain point cela s’est révélé exact, mais aujourd’hui il est clair que l’on bute sur les limites de ce que peut produire la seule régulation économique.

De fait, la régulation économique a été vue, par ses promoteurs eux-mêmes, comme une forme commode de réguler la vie sociale sans avoir à faire le travail d’une régulation politique, toujours complexe à mettre en œuvre. D’une manière brutale on pourrait dire que l’économie est la politique des paresseux.

Il est plus simple, pour un état, de subventionner les travaux de rénovation énergétique, que de se préoccuper de l’organisation d’une filière qui est, aujourd’hui, en déficit criant de compétences. Il est plus simple, également, de faire payer le stationnement en centre-ville que d’interdire la circulation. On préfère, aussi, subventionner les transports en commun, plutôt que de lutter directement contre l’étalement périurbain. Les politiques économiques sont censées avoir des effets graduels et mieux « passer » que des interdictions frontales. Elles permettent d’éviter la production de consensus sociaux longs à obtenir.

Mais à force de paresse et de facilité on a fini par se priver de ressorts d’action qui seraient aujourd’hui décisifs.

Quand on met entre parenthèse les rapports sociaux ils reviennent par la fenêtre

Dans l’évangile de Luc, Jésus fait un bref commentaire après une parabole : « faites-vous des amis avec l’argent injuste » (Lc 16.9). Cette formule pointe le cœur du problème : les rapports monétaires sont un moyen d’éviter les contraintes des relations sociales. Donner la priorité à ces relations est la seule manière d’éviter les pièges que nous tendent les rapports économiques. Même dans notre vie quotidienne, il est plus simple et plus rapide d’acheter un bien ou un service que de coopérer avec quelqu’un d’autre pour parvenir au même résultat. Mais on finit par se dessécher si on use sans cesse de tels raccourcis.

Et à force de tirer tout le temps la ficelle de la facilité, dans nos rapports quotidiens, dans les politiques publiques et dans les relations internationales, les rapports sociaux se délitent, il devient de plus en plus difficile de construire des lieux de débat et d’élaboration de consensus et les relations instrumentales ou instrumentalisées prolifèrent.

On dit que les accords de libre-échange développent les emplois de part et d’autre. C’est une affirmation fragile. Cela peut être vrai quand l’élargissement du marché permet de faire des économies d’échelle importantes et donc de proposer à plus de gens un bien donné, pour un tarif plus bas. Mais quand on a déjà le marché européen comme base, on voit que les économies d’échelles potentielles ne sont pas majeures. Cela peut être vrai, également, quand les territoires ont des savoir-faire nettement différents et que, du fait de l’ouverture des frontières, chacun se consacre à ce qu’il fait le mieux. Mais les différences essentielles sur lesquelles les entreprises jouent, aujourd’hui, sont les différences entre les législations nationales plus que les différences de savoir-faire. Du coup ces accords n’ont pas le même intérêt pour tout le monde. Ils ouvrent des possibilités à des entrepreneurs qui veulent contourner les contraintes locales du marché du travail, ils mettent les salariés locaux en position de faiblesse dans les négociations et ils font perdre des moyens d’action aux états. Ils ne créent pas, en tout cas, de communauté de destin entre les pays ainsi rapprochés. Et ils développent, pour couronner le tout, les transports de marchandises dont l’impact environnemental est loin d’être négligeable, pour un bénéfice de plus en plus contestable.

L’intérêt de la construction européenne a plutôt été, précisément, le lent, long et laborieux travail d’élaboration de règles communes. Ce n’est pas forcément ce qui plait le plus dans la construction européenne, mais c’est pourtant ce qui me semble le plus utile.

L’Europe politique est à la traîne, on le dit souvent. Mais que penser des rapports entre pays qui n’ont aucune instance de discussion en dehors de règles de libre-échange ?

L’aspiration à retrouver de la vie en commun

Les sociétés locales de naguère n’ont pas toujours brillé par leur ouverture d’esprit ! Et, là aussi, l’ouverture culturelle est un acquis positif de l’Europe.

Mais à l’inverse, aujourd’hui, on se retrouve avec des sociétés locales vidées de leur substance, en panne de lieux de vie commune et où la prime à l’individualisme, soutenu par la force énorme des logiques économiques, est majeure.

« Faites-vous des amis » est devenu un slogan radical porté par des associations locales, souvent autant concernées par l’avenir de la planète que par l’avenir de la vie collective. Cela n’a de sens qu’au niveau local. Mais à un niveau plus vaste cela signale aussi qu’il est temps, qu’il est grand temps, de plus miser sur les liens et les solidarités entre les personnes et de ne plus construire toutes les politiques publiques sur la base de relations d’achat et de vente.

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