L’affrontement continue en Biélorussie entre le pouvoir autocratique du président Alexandre Louchenko, frauduleusement réélu à la tête du pays, et les dizaines de milliers de manifestants qui demandent des élections libres et démocratiques. Malgré l’accentuation de la répression et l’exil forcé de la principale candidate de l’opposition, Svetlana Tikhanovskaïa, qui a pris le relais de son époux, le blogueur Sergueï Tikhanovski, jeté en prison et empêché de se présenter, le mouvement s’étend. Alexandre Loukachenko refuse toujours de se démettre tandis que la mobilisation de ses opposants ne faiblit pas. Les plus déterminés des contestataires affirment qu’ils occuperont la rue jusqu’à la victoire tandis que le président biélorusse et ses affidés multiplient contre eux les menaces et les provocations. Le dialogue paraît impossible entre les deux camps.
Face à l’aggravation de la situation, la solution ne peut venir que de l’extérieur. L’extérieur, c’est-à-dire les Européens, d’une part, et les Russes de l’autre. La Biélorussie appartient en effet à ce groupe de pays, anciennement soumis à la tutelle de l’Union soviétique, qui appartiennent à la fois au voisinage de l’Union européenne et à celui de la Russie. Bruxelles a choisi de nouer avec ces Etats un « partenariat oriental » qui a pour but de favoriser chez eux, en échange d’une aide financière, le développement de l’économie de marché mais aussi la promotion de l’Etat de droit et le respect de la démocratie. Le Kremlin tolère mal cette ingérence dans son pré carré. Il considère que cette région fait partie de sa zone d’influence et qu’elle doit y rester. Pour faire pièce à l’UE, il a créé une Union économique eurasiatique qui accueille notamment la Biélorussie et l’Arménie.
La question biélorusse est une nouvelle pomme de discorde entre Vladimir Poutine et les dirigeants européens. Le président russe appuie pour le moment Alexandre Louchenko au point de se dire prêt à intervenir militairement si la situation devenait incontrôlable. Mais la relation entre le chef du Kremlin et l’ombrageux autocrate de Minsk n’est pas bonne. Rien ne dit que Vladimir Poutine restera fidèle jusqu’au bout à un allié opportuniste qui n’a pas hésité à le critiquer pendant la campagne présidentielle. Son intérêt est d’éviter en Biélorussie une crise semblable à celle qui a secoué l’Ukraine et l’a éloignée de la Russie. De son côté, l’Union européenne, qui soutient les manifestants, s’est contentée jusqu’à présent de sanctions mesurées à l’égard de Minsk pour ne pas jeter le président biélorusse dans les bras de Moscou. Elle appelle à « une transition démocratique pacifique ».
L’exemple pourrait venir d’Arménie, où une révolte populaire a chassé du pouvoir il y a deux ans l’homme du Kremlin, Serge Sarkissian, pour y porter le chef de l’opposition, Nikol Pachinian, sans provoquer une rupture avec la Russie. Un changement négocié est donc possible dans la région. Le recours à la force n’est pas inévitable. Les choses s’étaient passées différemment en Géorgie puis en Ukraine, où les soulèvements s’étaient transformés en manifestations antirusses. Mais en Biélorussie, comme en Arménie, la Russie est perçue comme une puissance amie. Le pays n’est pas divisé, comme ailleurs, entre partisans et adversaires de Moscou : le mouvement de protestation qui vise Alexandre Loukachenko n’est pas dirigé contre le Kremlin.
Pour l’Union européenne, la marge de manœuvre est étroite. Il lui faut accepter de discuter avec la Russie de l’avenir de la Biélorussie sans pour autant replacer celle-ci sous la tutelle de Moscou. Elle aura gagné son pari si la parole est rendue au peuple de Biélorussie, dans des conditions respectueuses des droits de l’homme et des libertés publiques. La vocation des Européens est d’aider à la mise en place d’institutions démocratiques partout où ils le peuvent. S’ils parviennent à en convaincre les autorités de Minsk, les Biélorusses ne se seront pas battus pour rien.