Le mardi 21 février, dans un discours faisant suite à un Conseil de sécurité nationale pour trouver des “solutions urgentes” à l’immigration subsaharienne, le président Kaïs Saïed n’a pas hésité à parler de “hordes de migrants clandestins” source “de violences, de crimes et d’actes inacceptables”, dans le but de changer la composition démographique de la Tunisie en estompant son caractère “arabo-musulman”. À peu près au même moment, une loi de 2004 a tout d’un coup été appliquée de manière stricte. Le texte oblige, sous peine de sanctions, les propriétaires à signaler au commissariat qu’ils hébergent un étranger et à lui demander une carte de séjour, précise Le Monde

Du côté des autorités, le durcissement de l’application de cette loi sur l’hébergement, comme du Code du travail, est assumé. Les Tunisiens qui ne respectent pas la première risquent jusqu’à quinze jours de prison et une amende, a insisté le porte-parole du tribunal de Sfax, jeudi 23 février. De lourdes sanctions sont aussi prévues pour l’employeur qui embauche un étranger sans contrat de travail, a ajouté le porte-parole de la garde nationale tunisienne. Or, la majorité des 21 000 Africains vivant en Tunisie sont en situation irrégulière, précise le quotidien. Jusqu’au discours de Kaïs Saïed, leur présence était cependant tolérée.

“La population est contre nous”

La situation est d’autant plus complexe que la loi sur l’hébergement “pose problème depuis longtemps puisque la carte de séjour est très difficile à obtenir en Tunisie de manière générale”, rappelle Alaa Talbi, le directeur de l’ONG Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). Auparavant, des Ivoiriens ont vécu pendant trois ou quatre ans dans leur logement sans rencontrer le moindre souci. “J’ai l’impression que la population est contre nous, donc ça ne sert à rien de rester”, témoigne Ricoster, 26 ans, alors qu’il patiente devant l’ambassade de son pays.

Pour Maha Abdelhamid, chercheuse associée au Carep (Centre arabe de recherches et d’études politiques) et docteure en géographie sociale à l’université Paris-X-Nanterre, cette crise est inédite en Tunisie. Spécialiste des minorités au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et militante antiraciste, elle explique à Libération qu’ “en l’absence de politique migratoire et de dispositions administratives pour l’accueil des migrants africains, ces derniers se retrouvent en Tunisie en situation d’invisibilisation et de vulnérabilité juridique. Il y a beaucoup de fantasmes quant à leur nombre réel, difficile à estimer, car ils sont, pour la majorité, de passage en Tunisie avant de rejoindre l’Europe”. Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux estimait que les migrants d’origine subsaharienne étaient 22 000 en 2021.

Des événements géopolitiques et climatiques

Pour la chercheuse, le climat haineux actuel est lié aux politiques migratoires restrictives européennes, mais aussi aux “routes migratoires qui se redessinent en fonction des événements géopolitiques et désormais climatiques font que la présence de migrants subsahariens est plus importante que les années précédentes”.

Par ailleurs, la Tunisie traverse une crise politique et économique. Le président “agite la menace migratoire pour masquer les autres défis auxquels il n’arrive pas à faire face. Ce qui a aussi mis le feu aux poudres, c’est le Parti national tunisien, une petite formation qui a vu le jour en 2018 et qui a un discours ouvertement xénophobe. Il agite le spectre d’un dessein d’épuration ethnique du Maghreb au profit des populations noires d’Afrique”, poursuit Maha Abdelhamid. Le nouveau parti n’hésite d’ailleurs pas à demander l’abolition des lois condamnant le racisme.