Les élargissements successifs de l’Union européenne ont laissé longtemps en suspens la question de ses frontières. Aux six pays fondateurs se sont ajoutés, au fil des années, vingt-deux autres Etats membres, sans qu’on se préoccupe de savoir où s’arrêterait ce mouvement d’agrandissement de l’UE et quel serait, à terme, son visage définitif, quels seraient ses contours, sa géographie, ses limites, une fois achevé son extension. Sans qu’on s’inquiète non plus des possibles effets négatifs de cette fuite en avant sur le fonctionnement de la machine européenne et de la lourdeur, voire de la paralysie, qui pourraient affecter ses mécanismes de décision à mesure que se multiplierait le nombre des Etats membres. On a donc accueilli avec confiance, par vagues, tous les pays candidats, en application de l’article 49 du traité sur l’Union européenne selon lequel « tout Etat européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 peut demander à devenir membre de l’Union ».
Démocratie et Etat de droit
Quelles sont ces valeurs ? Ce sont, précise l’article 2, celles du respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit. Il ne faisait aucun doute, aux yeux des Etats déjà entrés dans l’Union, que les pays candidats étaient fidèles à ces principes et qu’il n’y avait pas d’autre question à se poser avant d’ouvrir des négociations. Une fois celles-ci engagées, l’adhésion était pratiquement acquise, à la seule condition que les Etats demandeurs présentent des institutions démocratiques stables, qu’ils disposent d’une économie de marché viable et qu’ils adoptent l’ensemble des lois européennes, appelé dans le jargon bruxellois « l’acquis communautaire ». L’élargissement de l’Union européenne paraissait aller de soi. Même le quasi-doublement qui a suivi l’effondrement du communisme a été absorbé sans difficultés, l’importance historique de l’événement masquant peut-être les problèmes à venir.
Faut-il aujourd’hui aller plus loin, toujours plus loin, continuer d’étendre les frontières de l’UE, poursuivre encore le processus d’élargissement ? Les dirigeants européens s’interrogent. Le doute s’est insinué face aux demandes de pays qui restent aux portes de l’Union alors même qu’ils sont prêts à négocier avec les Européens. Ceux-ci commencent en effet à faire la sourde oreille. On le voit à propos de la Turquie, avec laquelle les discussions, ouvertes en 2004, s’enlisent. On vient de le voir aussi à propos des Balkans, plusieurs Etats membres, dont la France, refusant d’engager des pourparlers d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord, en attendant que soient examinés les cas de la Serbie et de la Bosnie-Herzégovine. On le voit enfin à propos des Etats voisins de la Russie, tels que l’Ukraine ou la Géorgie, dont l’éventuelle adhésion à l’UE est source de vives polémiques.
La lassitude des opinions publiques
Pourquoi ce qui naguère ne semblait pas sujet à contestation est-il devenu problématique ? Pour plusieurs raisons. D’abord parce que les opinions […]