Une déclaration signée par des centaines de théologiens orthodoxes déclare hérétique le concept de «monde russe» utilisé par les pouvoirs politique et religieux russes pour justifier cette invasion. Cette réflexion proposée aux Amis de Dialogue RCF a été très synthétisée pour notre page « Question d’actu». Retrouvez l’intervention complète de Gilles Pivot sur le site web de votre journal.
Le patriarche Kirill de Moscou de l’Église orthodoxe russe aussi bien que le président Vladimir Poutine, ont justifié la guerre lancée par la Russie sur l’Ukraine, le 24 février dernier, en évoquant la défense du « monde russe ». Une idéologie qui sert de soubassement soi-disant historique et théologique à cette invasion. Une idéologie dénoncée par des centaines de théologiens et intellectuels orthodoxes à travers le monde – y compris en Russie – par le biais d’une déclaration initiée par le Centre d’études chrétiennes orthodoxes de l’Université Fordham de New York et l’Académie orthodoxe de théologie de Volos, en Grèce.
Ethnie, appartenance religieuse et politique
Dans le concept de « monde russe », il existerait « une sphère ou une civilisation russe transnationale, appelée Sainte Russie ou Sainte Rus’, qui comprend la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie (et parfois la Moldavie et le Kazakhstan), ainsi que les Russes de souche et les russophones du monde entier », affirme cette déclaration. Selon cette déclaration, ce concept va plus loin qu’une simple revendication territoriale. « Cet enseignement entend que ce “monde russe” a un centre politique commun (Moscou), un centre spirituel commun (Kiev comme “mère de toutes les Rus”), une langue commune (le russe), une Église commune (l’Église orthodoxe russe, patriarcat de Moscou) et un patriarche commun (le patriarche de Moscou) qui travaille en “symphonie” avec un président/dirigeant national commun (Poutine) pour gouverner ce monde russe, ainsi que pour défendre une spiritualité, une moralité et une culture communes et distinctives ».
Contre une soi-disant «défense des valeurs»
Défenseurs de ce « monde russe », Vladimir Poutine et le Patriarche Kirill se présentent comme des défenseurs de la civilisation et des « valeurs morales », dépeignant « l’Occident [comme] corrompu, mené par les États-Unis et les nations d’Europe occidentale, qui ont capitulé devant le “libéralisme”, la “mondialisation”, la “christianophobie”, les “droits des homosexuels” promus dans les défilés gay, et la “laïcité militante” ». Cet Occident marcherait main dans la main avec les orthodoxes « tombés dans l’erreur », comme le patriarche œcuménique Bartholomée et les autres Églises orthodoxes locales qui le soutiennent. La déclaration se termine par six affirmations assorties de condamnations réfutant des positions défendues par Kirill et le Patriarcat de Moscou – jugées « non-orthodoxes » – qui ne sont pas sans rappeler, tant par la forme que par le fond, la Déclaration de Barmen, qui en 1934 signa les débuts de la résistance spirituelle de l’Église confessante allemande face au national-socialisme. Sont entre autres dénoncées toutes les positions qui assimileraient le Royaume de Dieu avec un quelconque pouvoir terrestre, toutes les formes de gouvernement qui lieraient pouvoir politique et pouvoir religieux, tout enseignement qui encourage la division, la haine et la violence entre les peuples, les religions, les confessions, les nations ou les États et tout enseignement qui refuse de dire la vérité.
Fin mars, cette déclaration avait déjà été signée par plus de 1 500 théologiens.
La déclaration est accessible en français sur : www.publicorthodoxy.org