Voici les Européens mis au défi de répondre d’une seule voix aux tentatives d’agression et d’intimidation qui mettent en péril la sécurité du Vieux Continent. La menace aujourd’hui vient de la Russie, qui masse des troupe aux frontières de l’Ukraine et laisse planer l’éventualité d’une invasion de son grand voisin, accusé de servir de base à une possible offensive du camp occidental contre Moscou. Une telle invasion est-elle plausible ? En vérité, elle a déjà commencé avec l’annexion de la Crimée en 2014 et le soutien apporté aux séparatistes du Donbass. Pourrait-elle s’étendre à d’autres parties du pays, voire à sa capitale, Kiev ? C’est difficile à croire tant le risque serait grand pour Vladimir Poutine de s’engager dans une aventure qui lui coûterait très cher et l’exposerait à de sérieuses déconvenues.
Ce que cherche à obtenir le maître du Kremlin, plus vraisemblablement, c’est, comme au temps de la guerre froide, la reconnaissance par la communauté internationale de la domination russe sur son voisinage immédiat, que les Russes appellent leur « étranger proche » et sur lequel ils entendent exercer un contrôle étroit. Autrefois, ce contrôle s’étendait à l’ensemble de l’Europe centrale, en particulier à la Hongrie et à la Tchécoslovaquie, qui ont appris à leurs dépens, la première en 1956, la deuxième en 1968, qu’elles n’étaient pas autorisées à se soustraire à la tutelle de Moscou. Aujourd’hui, ces Etats s’étant libérés de la tutelle soviétique, Moscou a renoncé à les reconquérir. En revanche, le Kremlin veut garder sa mainmise sur le reste de son ancien empire, c’est-à-dire sur les pays issus de l’ex-URSS, du Caucase à l’Asie centrale en passant par la Biélorussie et l’Ukraine.
Pour Vladimir Poutine, cette neutralisation des pays voisins, appliquée jadis à la Finlande et baptisée pour cette raison « finlandisation », est la condition du retour de la Russie au statut de grande puissance, statut qu’elle a perdu après l’effondrement de l’URSS. Car l’objectif du président russe est bien de rendre à son pays le rôle éminent qu’a joué l’Union soviétique sur la scène internationale pendant la plus grande partie du XXème siècle. Il s’agit pour lui sinon de reconstituer l’ex-URSS en imposant son autorité aux anciennes Républiques soviétiques, au moins de recréer autour de Moscou une sorte de glacis, à la fois militaire et idéologique, qui renforce la Russie dans la compétition mondiale. La question est de savoir jusqu’où Vladimir Poutine est décidé à aller pour atteindre ce but. Elle est aussi de savoir ce que l’Europe, en association avec les Etats-Unis, chef de file de l’Alliance atlantique, est prête à lui opposer pour l’en empêcher.
Va-t-elle entrer en guerre pour préserver la souveraineté de l’Ukraine, dont Vladimir Poutine considère qu’elle fait partie, historiquement et culturellement, de l’espace russe ? Tous les efforts doivent être faits pour que le conflit ouvert par Moscou ne dégénère pas en affrontement armé. Pour autant, les Occidentaux ne peuvent pas accepter les exigences de la Russie, qui leur demandent de prendre l’engagement de laisser l’Ukraine hors de l’OTAN et de renoncer à déployer leurs armements dans les pays d’Europe centrale récemment entrés dans l’organisation. Reste la voie de la négociation. Elle est étroite, mais c’est la seule possible. Elle suppose en particulier que les Européens surmontent leurs divisions, qu’elles portent sur leurs relations avec les Etats-Unis ou sur leurs relations avec la Russie, et affichent, comme l’écrit Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, « une unité sans faille » face au « chantage russe ».