Le rêve russe d’établir un empire moderne conjugue l’inspiration du soviétisme avec une Ukraine source de richesses et matrice spirituelle. Le choix ukrainien de la démocratie situé à l’opposé de ce rêve est donc considéré comme inconcevable et transgressif par Moscou. Dans cette guerre sans merci, les responsables spirituels seront peut-être une clé de dialogue de long terme, de paix possible et de reconstruction.
Même si la Turquie d’aujourd’hui est politiquement indépendante du patriarcat de Constantinople, sa proximité avec Moscou et Kiev n’est pas uniquement économique ou stratégique. Il existe dans la pensée turque un poids historique de l’orthodoxie qui impose d’entretenir des relations fortes avec Kiev comme avec Moscou. Les tentatives de médiation de la Turquie dans la guerre actuelle en Ukraine en sont un signe.
Des médiations possibles
La seconde religion historique est le judaïsme, ce qui explique également une part de l’implication d’Israël dans les tentatives de résolution du conflit. Si durant la Seconde Guerre mondiale plus d’un million et demi de Juifs ont été massacrés par le régime nazi en Ukraine où étaient implantés nombre de camps d’extermination, le pays a compté jusqu’à 10 % de sa population liée au judaïsme et notamment de fortes communautés autour d’Odessa. Beaucoup ont émigré dans d’autres pays comme les États-Unis dont un quartier de New York a même été surnommé Little Odessa. Et pour une large part, la terre d’Israël est aujourd’hui peuplée par le judaïsme ukrainien, comme par les Juifs russes ayant émigré à cette époque puis durant la guerre froide. Cela incite les responsables d’Israël à une forme de dialogue équilibré entre les deux parties en guerre.
Un empire fantasmé
La mosaïque spirituelle historique, chrétienne et juive, très présente en Ukraine est aujourd’hui constitutive de son identité. Face à l’adversité, l’Ukraine s’est brusquement soudée au-delà des différences entre communautés et des problèmes de corruption qui la minent, pour faire front. Et la dimension spirituelle semble avoir eu une grande influence dans ce phénomène, tant pour ce qui concerne le judaïsme par l’approche et les réseaux du président ukrainien, que pour ce qui concerne l’orthodoxie avec la fierté d’un sentiment de primauté historique sur le patriarcat moscovite. Côté russe, cette histoire a également laissé des traces jusque dans l’imaginaire de grandeur à travers le rêve d’un retour à la Russie intégrale de l’empire des tsars. Kiev et Odessa prennent un rôle fondateur dans cette Russie fantasmée qui ne peut donc se passer de ces deux villes pour reconstituer son empire. D’une manière ou d’une autre, le pouvoir moscovite fera tout pour au moins les contrôler et s’adjoindre leur poids symbolique.