Il en tire une sociologie inédite du pardon après la violence extrême.
À quoi sert le pardon ?
À certaines conditions, le pardon peut être une ressource individuelle et collective pour surmonter au mieux les impasses et dépasser des divisions passées. Du côté du tueur, il permet de sortir de la dénégation pour énoncer la gravité des actes passés. Quant aux victimes, il peut aider à sortir de l’état de sidération pour accepter la réalité de la perte, renoncer à tout comprendre et renouer avec le temps présent. Mais cela suppose du temps et un travail du sujet sur lui-même. Le philosophe Vladimir Jankélévitch écrit « pour pardonner, il faut se souvenir ». Le pardon dote les acteurs d’un vocabulaire pour énoncer le tort commis. Il faut consentir à la parole pour mettre en récit le passé.
Y a-t-il des pardons destructeurs ?
J’ai pu observer des pardons sacrilèges : ceux qui entravent la parole ou offrent le moyen d’échapper à la justice. Le pardon demeure une notion fourre-tout et son sens peut facilement être instrumentalisé au lendemain d’un génocide. Le vrai pardon n’efface nullement la responsabilité individuelle et le travail de la justice. Pour le dire autrement, il n’est pas le refuge des génocidaires, des brigands ou des pédophiles… En prison, j’ai assisté à des situations qui plongent dans l’enfer du pardon, lorsqu’il devient un instrument de pression et de contrainte. Il arrive que des leaders religieux ne se limitent pas à appeler les fidèles au pardon en sollicitant leur conscience, mais ils prescrivent que Dieu commande de se réconcilier !
Quel peut alors être un vrai pardon ?
Dans sa définition chrétienne, la repentance du coupable est un acte conditionnel ou l’aveu occupe une place importante. L’acte de pardon de la victime est un don inconditionnel qui se fonde sur l’idée d’une grâce et d’un acte purement désintéressé relevant d’une “logique ” de l’amour, en suivant l’exemple du Christ. J’ai pu observer ce type de posture héroïque à l’initiative d’une victime en de rares occasions. Mais sur le terrain, il est plus souvent question d’un pardon approximatif ou d’un processus fragile et vagabond, qui peut passer par du ressentiment. J’ai vu des pardons avortés. Le philosophe Olivier Abel associe la pratique du pardon à l’idée de compromis. À mon avis, il faut prendre au sérieux une approche pragmatique du pardon. Il arrive que de petits groupes de fidèles, unis par des convictions religieuses et des liens de voisinages, réhabilitent le compromis pour créer un espace de parole, d’écoute, voire de solidarité au nom du pardon.
Ce laboratoire officiel du pardon
Avec d’autres médecins de l’AME-international, principalement strasbourgeois, Laura Braun, néphrologue à Strasbourg, s’est rendue sept fois à l’hôpital de Kigali, au Rwanda. Là-bas, les survivants et familles de victimes du génocide sont obligés de vivre en face de leurs bourreaux. temps et un travail du sujet sur lui-même.
Le philosophe Vladimir Jankélévitch écrit « pour pardonner, il faut se souvenir ». Le pardon dote les acteurs d’un vocabulaire pour énoncer le tort commis. Il faut consentir à la parole pour mettre en récit le passé. Y a-t-il des pardons destructeurs ? J’ai pu observer des pardons sacrilèges : ceux qui entravent la parole ou offrent le moyen d’échapper à la justice. Le pardon demeure une notion fourre-tout et son sens peut facilement être instrumentalisé au lendemain d’un génocide. Le vrai pardon n’efface nullement la responsabilité individuelle et le travail de la justice. Pour le dire autrement, il n’est pas le refuge des génocidaires, des brigands ou des pédophiles… En prison, j’ai assisté à des situations qui plongent dans l’enfer du pardon, lorsqu’il devient un instrument de pression et de contrainte. Il arrive que des leaders religieux ne se limitent pas à appeler les fidèles au pardon en sollicitant leur conscience, mais ils prescrivent que Dieu commande de se réconcilier ! « Le Rwanda est, au moins officiellement, un fantastique laboratoire du pardon », observe le docteur Laura Braun. « Dans les cœurs des proches des victimes du génocide, c’est sûrement plus complexe. » En cent jours, entre avril et juillet 1994, le génocide rwandais a entraîné la mort, dans une violence sans précédent, de près d’un habitant du pays sur six. Ceux qui avaient les moyens ont fui le pays vers la Belgique et la France, jusqu’au Canada. Les autres ont dû réapprendre à vivre. Comment juger les coupables ? Il y avait, certes, un tribunal international censé poursuivre les commanditaires. Trois génocidaires présumés viennent récemment d’être arrêtés en Belgique. Mais restaient plusieurs centaines de milliers de prisonniers sur place. Pendant dix ans, jusqu’en 2012, des cours traditionnelles, les Gacaca, présidés par des personnalités élues dans chaque village, ont jugé les auteurs des crimes. La dynamique du pardon a été imposée. « Les victimes offraient leur pardon et les criminels le recevaient. Cela amorçait le témoignage du génocidaire, pour servir de base à la réconciliation », explique Laura Braun, en notant que « le pardon est resté symbolique parce qu’il n’y a pas eu de réparation ». Les réparations financières n’ont pas fonctionné, les coupables étant souvent insolvables ou trop pauvres. Cependant des dépouilles de personnes massacrées ont pu être retrouvées… « Les Rwandais disent que le génocide est devenu un événement éternel », indique la médecin. Le mémorial de Kigali, avec des squelettes non identifiés, est centré sur le travail de la mémoire, à l’instar de ce qui se fait pour la Shoah. « Leur résilience force l’admiration », ajoute-t-elle. À l’hôpital de Kigali, il n’est plus question du génocide. Sauf « parfois au détour d’une conversation plus intime, quand un soignant lâche encore : ma famille a été tuée… »