Un arsenal technologique protéiforme, qui va jusqu’au rêve transhumaniste
Sa biographie est, en effet, jalonnée d’innovations diverses qui, toutes, associent une technologie et une valorisation financière. Il a commencé par investir dans une société de logiciels, puis a monté une banque en ligne et cofondé le système de paiement Paypal. Après il s’est lancé dans l’aventure spatiale avec Space X et dans les véhicules électriques avec Tesla. Il a fait un passage aussi dans Open AI.
Mais, derrière tous ces investissements, il y a le désir d’échapper aux limites de sa condition humaine.
Avec Space X, il rêve d’aller coloniser la planète Mars, lorsque la Terre sera devenue hors d’usage. Il consomme, par ailleurs, régulièrement, des médicaments censés doper ses capacités. On a parlé, récemment, de son usage de la kétamine qu’il utilise comme antidépresseur. La société Neuralink qu’il a fondée, a développé des puces qu’elle a commencé à implanter dans des cerveaux humains, avec le but de fusionner les intelligences humaines et artificielles.
On reconnaît, dans tout cela, l’univers culturel du transhumanisme, même si certains transhumanistes pensent qu’il ne va pas assez loin. L’idée de base est de sortir du carcan de la condition humaine pour viser des horizons illimités.
La recherche du pouvoir sous toutes ses formes
Le côté libertarien du personnage est tout à fait cohérent avec cette recherche infinie de la puissance. Il n’admet pas que quiconque l’empêche de faire ce qu’il a envie de faire.
Les scientifiques qui parlent des microbes, du changement climatique, des risques environnementaux sont des gêneurs.
La science qu’il a en vue ne peut être qu’au service de la technique. Sinon elle est à ranger dans la même catégorie que les agents publics, qu’il a, désormais, pour mission de licencier massivement, et qui se mettent en travers de ses intérêts particuliers au nom de l’intérêt général.
Et l’idéal est de pouvoir dire, sur le réseau X, tout ce qui lui passe par la tête, en tentant d’intimider ceux qui ne pensent pas comme lui.
Où l’on voit que la technolâtrie et le transhumanisme sont des idéologies profondément inégalitaires
Le transhumanisme inquiète depuis longtemps. En tant qu’idéologie totale, il n’est revendiqué que par une petite minorité. Mais on a souvent souligné, qu’implicitement, il était vecteur d’inégalités. De fait, les technologies qu’il conduit à mettre en œuvre coûtent cher et donc, par définition, elles seront réservées à une élite fortunée.
On découvre que l’intelligence artificielle est gourmande en énergie, et que dire des fusées censées nous emmener sur Mars ?! Et l’attitude de Musk et de Trump, qui se résume au rapport de force à l’état brut, montre que celui qui rêve du pouvoir technique rêve aussi du pouvoir sur les autres.
Elon Musk a, d’ailleurs, basculé dans ses postures les plus autoritaristes quand il a appris que son fils voulait changer de genre. Or le fils en question a révélé que son père avait eu recours à une fécondation in vitro sélective, pour être certain d’avoir un fils. On voit où le désir de toute-puissance peut mener.
Cette folie est-elle la révélation de la part sombre qu’il y a dans tout rêve technique ?
Il est difficile de ne pas penser à Jacques Ellul, face à ce déchaînement débridé de puissance. Cette outrance technique n’est-elle rien d’autre que ce qui est déjà en germe, sur le mode mineur, dans toute recherche d’efficacité technique ?
La question est posée. Pour ma part il ne me semble pas qu’il y ait une continuité entre le geste technique le plus simple et ce cauchemar éveillé. En revanche, le point de bascule, le moment où l’on rentre dans une logique qui se ferme à toute remise en question, n’est pas si évident que cela à définir. Et il est clair que l’extrémisme technique dans lequel une fraction de la population s’est installée trouve des échos dans des rêves de puissance plus ordinaires.
En tout cas, cela doit interroger les demandes que nous adressons, explicitement ou implicitement, à l’innovation technique. Et les exhortations de Jacques Ellul de s’en tenir à la non-puissance ont toute leur valeur, aujourd’hui.