Les anabaptistes non-violents, au XVI° siècle, citaient volontiers le déclaration-proverbe de Jésus : « celui qui prend l’épée périra par l’épée » (Mt 26.52). Il est vrai qu’ils avaient payé pour le savoir. L’option non-violente a, en effet, pris le dessus en leurs rangs après les massacres de la guerre des paysans de 1525, où on estime le nombre de victimes à environ 100.000 ! C’était Thomas Muntzer et ses partisans qui avaient pris l’épée et étaient, finalement, restés sur le carreau.

Ces anabaptistes soulignaient, par là, que prendre l’épée vous faisait entrer dans un certain type de rapport de force qui n’était pas sans conséquences. Naturellement, on connaît beaucoup de gens qui ont pris l’épée et sont morts dans leur lit. A l’inverse, Jésus qui demande, au travers de cette formule, à Pierre de remettre son épée au fourreau, au moment de son arrestation, périra peu après sur la croix. Le rapport n’est donc pas aussi direct.

Mais il n’en reste pas moins qu’utiliser une arme n’est pas anodin et est porteur de conséquences à long terme.

Et ce que l’on voit aujourd’hui, c’est qu’à partir du moment où on cherche à régler un problème par « l’épée » ou par toute arme plus moderne, on rentre dans une histoire sans fin où l’on n’a jamais assez et où l’escalade survient très facilement si on n’y prend pas garde.

La répression appelle la répression

Depuis une bonne cinquantaine d’années (au moins) on cherche, en France, à régler des enjeux par la répression. Or cette répression n’apparaît jamais, aux yeux de ses partisans, comme suffisante : il en faut toujours plus. On ne parvient jamais au but recherché et on imagine, en conséquence, qu’il faudrait aller plus loin dans la répression et ainsi de suite, à l’infini.

Pour certains il y a toujours trop de délinquance, toujours trop d’insécurité, toujours trop d’incivilité. Je ne nie pas que de tels problèmes existent. Ils appellent forcément un minimum de répression. Mais ils n’appellent certainement pas un maximum de répression. Et, en tout cas, on ne réglera pas du tout de tels problèmes par une fuite en avant, par un suréquipement technique des forces de l’ordre et surtout en considérant que l’usage de ces forces de l’ordre est l’alpha et l’oméga de l’action publique.

Il est certainement plus complexe de chercher à inclure une grande variété de groupes sociaux dans le jeu économique et social, ou d’entendre les revendications de ceux qui sont victimes d’injustice, mais c’est quelque chose d’indispensable si l’on veut sortir de la violence ordinaire qui gangrène la société française. Et puis, il ne faut pas imaginer non plus que l’on va trouver une « solution » complète à de tels problèmes. On est obligé de tolérer une certaine dose de dangers, de désagréments, d’actes délictueux, si on ne veut pas se retrouver dans un monde quadrillé par des gardes armés et des sociétés de gardiennages.

Quand on commence à régler un problème par la force plutôt que d’en chercher les racines on s’engage, ainsi, dans un processus dont on ne voit pas la fin. C’est collectivement que nous pourrions bien périr par l’épée si nous n’y prenons pas garde.

Le mirage d’une immigration qui se plie à nos désirs

Les discussions qui entourent le projet de loi actuel sur l’immigration donnent un nouvel exemple de cette spirale sans fin. Pour certains il y aura toujours trop d’émigrés en France. Et ils imaginent donc de nouvelles dispositions plus répressives pour tarir un flux qui sera toujours trop élevé pour eux.

Certains rêvent d’émigrés qui leur obéiraient au doigt et à l’œil : qui viendraient quand on a besoin d’eux et qui repartiraient quand on n’en a plus besoin. Mais c’est ignorer que beaucoup d’émigrés ne viennent pas de gaîté de cœur en Europe et que c’est bien souvent poussés par le danger et le désespoir qu’ils tentent des manœuvres périlleuses pour pénétrer dans l’espace Schengen.

D’ailleurs une partie de ces migrants quittent leur terre parce que, précisément, ils sont chassés par des conflits militaires (éventuellement des guerres civiles) qui appellent d’autres conflits militaires et ainsi de suite.

Il n’y a pas de solution simple à de tels enchaînements, mais la stratégie : guerres + maintien des inégalités économiques entre pays (guerre économique si l’on veut) + accueil de plus en plus répressif des migrants est promise à l’échec.

Et au plan international ?

Il est clair, au plan international, que l’on doit faire face à des puissances qui ne reculent devant aucune menace et sont prêtes à déclencher des guerres à droite et à gauche. A vrai dire on se demande, en ce moment, qui va être le prochain à sortir son revolver.

Mais, une fois que l’on a dit cela, est-ce qu’il n’est pas un peu inquiétant que l’on recense un peu complaisamment, jour après jour, l’arsenal croissant que les pays de l’OTAN mettent à disposition de l’armée Ukrainienne ? Est-ce que c’est là notre seul espoir ?

Est-ce que nous ne sommes pas, à notre insu, entraînés dans un engrenage dont nous aurons toutes les peines du monde à sortir ?

La formule du Christ s’adressait à ses disciples et non pas à un gouvernement. Je peux entendre que, pour un gouvernement, un moment donné, le recours à la force soit la moins mauvaise solution qui lui semble possible. Mais après, une fois que l’on a eu recours à la force, que fait-on ? Le risque est de répondre aux problèmes laissés en suspens à cette occasion par un surcroît de force. L’usage de l’épée n’est nullement anodin. Il secrète sa propre logique et finit par rendre dépendant.

Celui qui prendra l’épée deviendra vite captif de l’épée.