En 1958, le sociologue anglais Michael Young invente le terme « méritocratie » et théorise le concept comme une ascension dans l’échelle sociale. Il s’agit alors d’une satire et Michael Young se moque de ce concept, poussé à l’extrême, dans une société dystopique aux principes très rigides et contrôlés.
Malgré son origine péjorative, le terme de méritocratie est régulièrement repris par les politiques pour louer un système inégalitaire mais équitable. La République donnerait sa chance à tous, et nous serions tous susceptibles de grimper les échelons à force de travail et de bonne volonté. Mais les sociologues continuent de critiquer le concept.
En 2021, Annabelle Allouch a écrit un ouvrage intitulé Mérite pour démonter le mythe. Dans un entretien avec l’Observatoire des inégalités, elle explique que, dans nos sociétés, le mérite repose sur l’effort personnel, la moralité, le talent… Autant de biens propres à chacun. Ce principe donne un sentiment de justice, à l’école, par exemple.
Le mérite, omniprésent dans notre société
Mais selon Annabelle Allouch, le mérite est aussi un discours, un récit produit par les dominants sur la valeur des uns et des autres. Et en cela, il justifierait les inégalités sociales. Enfin, le mérite est une façon de répartir les attributs de chacun. Comme les diplômes, la richesse et les postes importants sont rares, il faut bien les donner à ceux qui sont jugés comme les plus « méritants ».
La sociologue souligne ainsi que le mérite est omniprésent dans notre société. Quand on cherche du travail, quand on veut séduire, on met en avant ses talents et ses compétences. Les concours nous suivent tout au long de notre vie de l’école à la télévision avec Koh-Lanta ou Top Chef. Mais il est difficile de savoir si une personne « mérite » vraiment sa récompense.
Pour avoir la bonne mesure, il faudrait isoler des performances individuelles. Mais au sein d’un même environnement, les personnes n’évoluent pas dans les mêmes conditions selon leur milieu social, et ne bénéficient pas toutes du même soutien.
Une fiction au service des dominants ?
La notion de mérite est aussi mise en avant lorsqu’une personne passe d’une classe sociale à une autre. David Guilbaud, énarque, a écrit en 2018 L’Illusion méritocratique. Issu de la classe moyenne, il est entré à Science Po et l’ENA avant de devenir haut fonctionnaire. Passé par les grandes écoles, il critique un système élitiste qui donne aux élèves un sentiment de supériorité.
Dans un entretien accordé au Monde, David Guilbaud explique que l’idée du « quand on veut, on peut » est en contradiction avec la rigidité de notre société et du marché de l’emploi. Pour lui, le mérite occulte les conditions économiques et culturelles dans lesquelles nous grandissons, et donc le déterminisme social. La méritocratie serait-elle alors une fiction pour légitimer la position de ceux qui ont « réussi » ?