Quand je termine un article pour ce blog qui s’appelle « Tendances, Espérance », il m’arrive de me demander où est l’espérance dans ce que j’écris ! Les événements que je commente sont souvent sombres et les « tendances » que je décris n’ont, la plupart du temps, rien de réjouissant.
On m’a demandé, récemment, d’intervenir, précisément, sur le thème de l’espérance et cela a ravivé cette question.

Jacques Ellul, en son temps, avait abordé la question (dans L’Espérance oubliée) en opposant espoir et espérance. L’espérance relèverait d’un désespoir surmonté suivant la formule : « espérant contre toute espérance Abraham crut » (Rm 4.18). On peut jouer avec ces deux mots si l’on veut. Mais il faut savoir que la plupart des langues (dont le grec) n’ont qu’un seul mot et, qu’en français, l’histoire des deux mots est assez mélangée.

Le dictionnaire Robert historique de la langue française nous dit qu’ « espérance » est apparu en premier (c’est le dérivé le plus naturel du verbe espérer), puis « espoir », un peu après.

Au XVIIe siècle « espoir » était un mot recherché employé plutôt en poésie et « espérance » était le mot de base. Aujourd’hui c’est plutôt « espoir » qui est le mot de base. Bref, pourquoi ne pas souligner ce qu’il peut y avoir de paradoxal dans l’espérance chrétienne, mais la distinction entre espoir et espérance n’est opérante que dans le français moderne.
Par ailleurs, j’ai toujours été mal à l’aise avec la manière dont Jacques Ellul maniait le paradoxe, avec le « non » de Dieu qui devenait un « oui », etc., et ce n’est pas vraiment de cette manière là que j’envisage l’espérance chrétienne, même si, et concrètement, je peux rejoindre Ellul sur certains points.

Une particularité de l’eschatologie du Nouveau Testament

Quand on lit les petites apocalypses qui sont dans les évangiles synoptiques, on est frappé d’un contraste : d’une part, Jésus raconte une série d’événements dramatiques qui vont survenir, au fil de l’histoire, et d’autre part, et immédiatement à la suite, il demande aux disciples de tenir bon et de garder le cap. La conclusion des discours sur la fin des temps dans l’évangile de Marc dit l’essentiel, à propos de ce qui va se passer quand Jésus sera parti : « C’est comme un homme qui part en voyage : il a laissé sa maison, confié à ses serviteurs l’autorité, à chacun sa tâche » (Mc 13.34).
Ce n’est donc ni un discours visant à dire que « ça va bien se passer » et qu’il n’y a plus qu’à appliquer le mode opératoire pour que les choses se déroulent suivant le plan prévu ; ni un discours encourageant une attente passive du fait que tout va de travers.
L’espérance, en l’occurrence, est de garder le cap au milieu d’événements contraires, avec la confiance que l’attitude que l’on adopte est celle qui a de la valeur (qui vaut la peine) et que cette attitude prévaudra à la fin des temps.

En attendant la fin des temps

Mais, quand on s’interroge et quand on m’interroge sur l’espérance, on ne se contente pas de l’horizon de la fin des temps. Sur ce point, c’est plutôt la construction d’ensemble de l’Apocalypse de Jean qui m’inspire : il y a des réalisations partielles, au fil du temps, de cette espérance. Il y a des moments où l’histoire s’éclaire et où ce que l’on a porté est reçu et mis en œuvre jusqu’à un certain point. Mais cela se déroule par cycles successifs, par des avancées et des reculs répétitifs, qui se dirigent, peu à peu vers la fin ultime. Il y a des préfigurations successives, des ruptures, de longues attentes, des avancées soudaines. Bref l’espérance a du sens, y compris ici et maintenant, même si les événements tournent mal, un moment donné.

Concrètement : aujourd’hui

Et donc, mois après mois, nous voyons que peu de gens prennent vraiment au sérieux les enjeux du changement climatique, que les gouvernements européens reculent sans cesse devant la moindre fronde populaire, à ce sujet. Nous voyons les logiques de guerre et d’affrontement prendre le dessus un peu partout dans le monde, et jusque dans les sociétés, officiellement en état de paix. Nous observons la popularité croissante des partis d’extrême droite qui ont fait de la peur et de la méfiance leur fonds de commerce.

Si nous sommes déterminés à aller à contre-courant, notre espérance est que les choix que nous faisons ont du sens, nous ouvrent à la vraie vie, sont une ressource et une inspiration possible pour d’autres et rejoignent le projet de Dieu pour l’humanité : amour, partage et respect de l’autre et de la création. Cela débouchera-t-il sur quelque chose de concret, sur un revirement observable ? Qui le sait ? Mais notre espérance est là.