Parmi les diverses déclarations d’Emmanuel Macron, autant que parmi les commentaires qui ont accompagné le lancement du Conseil national de la refondation, je n’ai rien lu, ni entendu, sur le mot « Refondation » lui-même.
Que faudrait-il refonder ? Si j’ai bien compris, la nouveauté serait la méthode de discussion.
C’est certainement une bonne idée d’instaurer des lieux de débat, dont notre société manque cruellement. Cela dit, si je retourne aux fondements (je reviens au mot) de la démocratie, ils ne consistent pas seulement à discuter ensemble, mais aussi à argumenter et à trancher, non pas, cette fois-ci, ensemble, mais en construisant une majorité. C’est, finalement, ce que l’on a trouvé de plus proche du respect que l’on doit à toute personne, à tout groupe social, dans la société. Et le projet du CNR me semble même être en retrait par rapport à ces fondements.
De la difficulté à admettre les contradictions dans notre société
Plusieurs commentateurs l’ont souligné : les expériences précédentes de forums organisés (Le grand débat, après la crise des gilets jaunes, et La convention citoyenne pour le climat, par exemple) ne rendent pas très optimistes. Ce sont, assurément, des lieux où des personnes se sont parlées. Mais, quand il s’est agi d’en venir à la décision, ce ne sont même pas les députés qui ont tranché, mais, avant ceux-ci, les cabinets ministériels et, donc, des lobbies divers qui ont fait prévaloir leur point de vue.
Si refondation il devait y avoir (parlons plutôt d’une remise à jour, d’une redécouverte du fonctionnement démocratique), elle devrait permettre de trancher, en toute transparence, entre des points de vue contradictoires.
On touche là aux limites de la vision du monde d’Emmanuel Macron et des groupes sociaux qui le soutiennent. Le fameux « en même temps » est, en fait, le signe d’une horreur du déchirement. Cela rejoint l’imaginaire technique (que ce soit des techniques matérielles, économiques ou juridiques) qui considère qu’il y a toujours un optimum qui produit la « meilleure » solution, une fois que l’on a posé sur la table les différentes options. Ce qui, finalement, dispense de débattre.
Or les décisions qui sont devant nous sont déchirantes. Les urgences climatiques poussent à des décisions qui contreviennent à l’intérêt de beaucoup de personnes. On peut, certes, essayer de trouver les voies les moins pénibles, mais il faudra heurter de front les pratiques économiques et professionnelles de pans entiers de la société. Les intérêts des différents groupes sociaux sont, par ailleurs, incompatibles les uns avec les autres. On parle beaucoup des super profits, mais beaucoup de choses opposent, également, les classes moyennes urbaines et les ouvriers ou employés résidant en périurbain.
Le CNR est prévu pour produire du consensus. Partout où ce sera possible c’est assurément ce qu’il y a de mieux. Mais il faudra également envisager des situations moins iréniques où seuls des compromis seront possibles, voire des échanges donnant-donnant. Et comment fera-t-on dans ces cas-là ?
Dans la pratique, ces dernières années, les arbitrages économiques ont été les outils les plus souvent mobilisés pour couper court aux débats. On espère, en les utilisant, que si l’économie globale du pays s’améliore, tout le monde en profitera. Mais, d’abord, c’est loin d’être le cas et, ensuite, la mesure économique donne, mécaniquement, un pouvoir de décision supérieur aux personnes qui ont le plus d’argent. On n’est pas dans un système « un homme-une voix », mais « un euro-une voix ». Si vous maniez dix fois plus d’argent que quelqu’un d’autre, ce qui vous arrange, arrangera l’économie française dix fois plus, que ce qui arrange le plus pauvre.
Que faire des contradictions et des déchirements ?
Et si les déchirements et les contradictions étaient une bonne nouvelle ? A plusieurs reprises, dans les évangiles et dans les épîtres de Paul, on mentionne ce qui est caché « aux sages et aux intelligents » et ce qui est révélé « aux tout petits ». Paul use d’un autre vocabulaire, mais l’idée est la même. En fait, ceux qui sont au bas de l’échelle sociale voient des réalités que ceux qui gèrent les affaires ne voient pas. Leur point de vue est, de la sorte, complémentaire et fort utile pour comprendre les enjeux d’une conjoncture donnée. Et si le Nouveau Testament valorise le regard de ceux qui sont en bas de l’échelle sociale, c’est parce qu’il considère que l’on ne donne pas assez de poids à leur parole.
Cette parole est donc complémentaire, mais elle n’a pas vocation à se fondre (en tout cas pas toujours) dans un consensus qui l’engloberait. Il est quelque fois plus utile de mettre les désaccords et les divergences d’intérêt sur la table pour voir comment on peut négocier des compromis.
En l’occurrence, que l’on parle des tensions sociales, des enjeux climatiques ou de l’insécurité, il est clair que les divergences de points de vue seront plus fortes que les convergences. Et s’il faut refonder quelque chose, ce serait de se persuader que l’on peut vivre avec quelqu’un qui n’est en aucune manière de notre avis.
Dans l’église primitive, les croyants avaient une bonne raison de se rassembler. Pourtant, leur histoire personnelle leur donnait des regards bien différents, suivant qu’ils étaient d’origine juive ou païenne. Or il est frappant de voir que Paul n’a nullement cherché à construire un discours qui mêlerait ces deux points de vue : il les a simplement posés l’un à côté de l’autre, en considérant que c’était deux chemins possibles pour aller vers Dieu.
Quand on ne partage pas des convictions aussi fortes (qui peuvent permettre de relativiser d’autres différences d’appréciation), une telle coexistence est peut-être un peu plus difficile à mettre en œuvre. Mais c’est là, j’y reviens, un des fondements de la démocratie : admettre que celui qui ne pense pas comme moi est un citoyen au même titre que moi et qu’il nous faut, par conséquent, trouver un moyen de vivre ensemble.