Parti pour enseigner le français à des élèves dans un orphelinat, Samy en est venu au fil des ans à concevoir un projet bien plus ambitieux : un manuel de pédagogie. Madagascar a en effet deux langues officielles : le malgache (ou malagasy) et le français. Le malgache est la langue du quotidien ; le français, celle des procédures, des lettrés, de l’enseignement supérieur… Sans maîtrise du français, pas d’ascension sociale. La langue est pourtant peu et mal enseignée dans les écoles malgaches. La FJKM et la FLM, Églises partenaires du Défap, dispensent des cours de français aux élèves qui fréquentent leurs écoles, mais manquent de moyens, notamment pédagogiques. Un vide que Samy s’est employé à combler, avec le soutien du Défap… Mais, comme il le raconte dans cette « lettre de fin de mission », sept ans après son arrivée dans la Grande Île, s’il a beaucoup enseigné, il a aussi beaucoup appris. Et découvert sur lui-même.

Les sept vies des « ça »

Ça déborde des quelques bacs à ordures dans la ville qui n’en sont que trop rarement débarrassés. Ça foisonne partout dans les rues, sur les trottoirs et dans la nature. Ça empeste et ça pollue. Ça, c’est tout ce que les Européens ou autres « développés » appellent des ordures, des déchets, des détritus. Mais ici, avant qu’on les relâche, il faut savoir qu’ils ont eu sept vies.

Quiconque vient à Madagascar est étonné de voir les longues rangées interminables de vendeurs de bibelots cassés, de bouteilles et pots en verre vides, de ferrailles en tout genre et autres camelotes. C’est qu’ici, il n’existe pas vraiment de poubelles puisqu’il n’existe pas vraiment de déchets.

Ce que nous appelons des déchets sont déchets-d’œuvre ici. Leurs objets d’artisanat sont faits de bouts de claquettes usées, de tubes de perfusion usagés ou du coton de pantalons troués. Les Malagasy ont élevé au rang d’art la réutilisation des déchets.

Les Européens, les « développés », les riches, ont appris à ne se servir d’un objet que pour l’utilisation qu’on lui a donnée. À un enfant qui joue avec un carton comme cabane, on dit : « Ce n’est pas fait pour ça ! » et on le lui prend. Ici, les Malagasy ont bien compris la force créatrice du « ré-inventer ».

Ici, le journal n’est pas quotidien, il ne périme pas à la fin de sa journée, il se ressuscite en protège-cahier, en emballage de beignets et autres hors-d’œuvre de la rue.

Ici, les coques de pois de Bambara ou les morceaux de béton ne sont pas des débris, ce sont aussi des pions pour jouer dans la rue au « fanorona », jeu d’échecs du pays.

Ici, un pare-brise n’est pas que pour les voitures, c’est aussi la vitrine d’un vendeur pour protéger les beignets ou autre nourriture.

Ici, les feuilles des arbres ne sont pas que des feuilles, ce sont aussi l’isolant des toits ou des emballages de gâteaux traditionnels malagasy.

Ici, les conserves ne sont pas que des boîtes pour conserver la nourriture, ce sont les instruments de mesure nationale pour le riz ou […]