La geste sur la Seine. Un signe d’amitié, d’entre les peuples rassemblés, sourire au fleuve du monde, à la fraternité. Ce serait le bide on vous l’avait bien dit. Le désastre serait au rendez-vous, le café des sports fermerait boutique dans une capitale à double tour abandonnée, pour cause de sponsors, d’argent, de cynisme. Eh bien non.
Les Jeux Olympiques de Paris comptent parmi les succès de l’année. La déploration des grincheux n’y changea pas grand-chose. Oh, oui, bien entendu, le mauvais goût tâchait les élégances, et bien des fantaisies pouvaient susciter la critique. Il en va de la sorte quand on veut séduire le plus grand nombre : la sueur et la soie se mélangent à qui mieux-mieux, ce qui fait dire aux baronnes – au populaire aussi, n’allez pas vous méprendre sur la réciprocité de la méfiance – que décidément, non, tout cela manque de chic.
Léon, Nicolas, Teddy… et les autres
Tout de même, bouder son plaisir au souvenir d’un nageur, ce serait malheureux. « Léon », je vous le demande, un peu, cela ne sonne-t-il pas comme une cerise de la gambille ? On aurait juré Léon Marchand parigot, c’est un toulousain. Bravo. Cela sans doute explique son sourire amical, cette façon de dire qu’il prend la clé des champs pour ne pas épuiser son capital, pour aller pêcher des langoustines au creux de ses rivières.
En décalage aussi, Nicolas Geslin pratique le canoë-kayak, alors même que Quimperlé ne ressemble guère à ces communes de la Garonne, de l’Ariège ou de la Vézère. Il a gagné, plus que notre estime, la déférence de tous.
Et puis encore cet étonnant géant, vainqueur un brin tapageur, habitué du clinquant – c’est une fidélité sans doute, chez lui, de défendre Levallois – mais qui nous ravit parce qu’il gagne avec tranquillité, parce que l’on peut dire de lui ce que Joffre après la Marne avait expliqué : je ne sais pas qui a gagné la bataille, mais je sais qui l’aurait perdue. Teddy Riner occupe encore le sommet du judo. Cela ne doit pas nous lasser, car il fut une époque où les japonais seuls pouvaient prétendre au podium.
Du début à la fin, les JO de Paris ont stupéfié le monde
On le reconnaît, les Jeux Olympiques ont tous les défauts du divertissement qui détourne l’attention de la Cité. Spectacle de la performance et de la compétition quand nous avons besoin d’abord de tendresse et de fraternité. Le geste gratuit, le baiser d’alexandrins que s’échangent, au bord de leur élan, des amoureux qui ne demandent à la vie qu’un peu de bonté, les Jeux Olympiques l’ignorent. En cela nous avons le droit de leur préférer l’apprentissage de la musique de chambre, le théâtre amateur ou les ateliers d’écriture. Machine commerciale, ce rendez-vous planétaire et médiatique amasse, percute, exploite. En ses veines coule un sang d’argent plus que d’amitié. Mais, cette année, les Jeux Olympiques, alors que notre pays paraissait tétanisé par ses propres blocages, ont eu le mérite immense de prouver que les Français savent se mobiliser, construire un projet, le mettre en œuvre avec un souci d’originalité, d’audace et de rigueur qui stupéfia le monde.
Un dernier mot
Pierre de Coubertin, le père des Jeux modernes, suivant la formule consacrée, ne fut pas seulement nationaliste, colonialiste et antidreyfusard. Il manifesta son admiration pour Adolf Hitler en personne. Un vrai palmarès…
On sauvera cependant le désir du bonhomme de rassembler dans des joutes amicales des peuples qui se faisaient la guerre. Et puis cet engagement : le 12 mars 1895, il épousa Marie Rothan au temple de l’Etoile, que le pasteur Eugène Bersier avait fait construire moins de trente ans plus tôt. Paris vaut bien un culte.