Ne pas bouder son plaisir. Présenter ses vœux, n’est-ce pas d’abord offrir à son prochain les pensées les plus affectueuses ? Avec bonheur, l’auteur de ces lignes vous souhaite le meilleur, aussi bien le lait, le miel, que mille douceurs imprévisibles et cependant précieuses.
Dans le domaine politique, il n’est pas interdit de penser que l’année 25 sera folle, ce qui renvoie les amateurs à la robe à la garçonne, au smoking de La Coupole, Aragon ne connaissant pas encore Nancy Cunard. Une raison majeure pour plonger dans le volume de Jean-Noël Jeanneney qui paraît dans la collection Bouquins : « Une république Française, 1870-1940 » (1344 p. 35 €). Tenter de comprendre nos jours en passant par le passé, voilà bien l’un des exercices les plus familiers aux lecteurs de ce blog. Alors, vogue le navire, et partons pour la Troisième République !
« Dans notre histoire, le dix-neuvième siècle a joué un rôle fondamental, nous explique Jean-Noël Jeanneney. L’idéal républicain, marqué par un patriotisme fondé sur l’héritage de la Révolution, affirme que la France a des choses à dire au monde que les autres ne disent pas. En face, les partisans de la contre-révolution prétendent au contraire qu’ils sont dépositaires de la seule France qui vaille, celle de la royauté. Sous cet angle, on peut dire que le parcours de Victor Hugo fut éclairant : d’abord hostile à 1789, au Premier Empire, il est devenu le plus farouche partisan de l’épopée napoléonienne – sans doute par détestation viscérale de Napoléon III – mais encore un militant des Etats-Unis d’Europe, convaincu qu’il était que la France est assez grande pour se fondre dans une entité plus vaste sans perdre son âme. »
Autres temps, autres mœurs ? Peut-être que non
Bien entendu, certains livres contenus dans le volume dont nous parlons soulignent la distance qui nous sépare de ces années lointaines. « Le duel, une passion française », analyse méticuleuse parsemée de situations cocasses, en est l’illustration. Porter l’honneur au-dessus de toute chose n’est guère d’actualité, s’imaginer Danièle Obono sur le pré face à Nathalie Carvalho – mais oui, figurez-vous, les femmes aussi se battaient à l’épée – relève de la pure invention.
Mais pour le reste, comment ne pas être frappé par la permanence des enjeux ? Lorsque Jean-Noël Jeanneney cite son grand-père paternel, Jules, on est saisi : « Aujourd’hui comme au temps de Waldeck-Rousseau, déclare en 1938 celui qui préside le Sénat pour encore deux ans, le besoin n’est pas de changer la Constitution et les lois ; le moment demeure de les défendre… Et d’abord de les pratiquer sainement. C’est affaire de volonté et, suivant un corolaire qui est de circonstance, affaire d’autorité. » On imagine déjà votre objection : toute position de principe nous paraît contemporaine. Soit. Mais que dites-vous de cette nouvelle tirade de Jules Jeanneney : « l’exemple, rappelé tant de fois et à bon droit, des républiques antiques, n’a cessé de valoir, lui non plus ; il a montré que l’excès d’individualisme aboutissait à l’égoïsme personnel ou collectif, à l’oubli du bien public, à l’épicurisme des satisfaits, à l’esprit de corps, à la lutte des classes et finissait par la tyrannie. » ? Comme on dit dans les pièces de Georges Feydeau : voilà qui est envoyé.
La galerie de portraits que contient le livre dont nous parlons vous inspirera sans doute : Georges Mandel ou Millerand, côtoient Marie d’Agoult, François de Wendel, et tant d’autres.
Mais c’est encore par les trames utilisées que l’ouvrage vous embarquera : « La grande guerre, si loin, si proche », un chapitre inspiré par la célébration du terrible événement, « Virus ennemi, la Grande Guerre et le Covid » qui dévoile ses intentions par son titre, tout cela vous passionnera.
« Permanence », écrivions-nous. Jean-Noël Jeanneney, sollicité de nouveau par nos soins, donne sa part de vérité : « Nous ne devons pas sous-estimer la part des divisions qui traversait la France autrefois. Le poids de l’argent, le rôle des médias populaires (reflets du débat publics, puis devenus à leur tour acteurs de ce même débat), les clivages agrandis par la nécessaire liberté d’expression – la loi de 1881 sur le blasphème, par exemple, entre ceux qui s’offusquent et ceux qui, comme Clemenceau, considèrent que Dieu est assez grand pour se défendre tout seul – tout cela nous montre que les tensions publiques ont jadis été fortes, voire violentes. Ce qui m’intéresse dans la Troisième République, c’est la manière dont elle a traité ses divisions. L’ordre pratique de la vie politique et l’ordre culturel ont été d’un grand secours face aux périls qui la menaçaient. »
Puissent nos responsables politiques en prendre de la graine. Janvier ? Le mois des vœux pieux !
A lire : Jean-Noël Jeanneney : « Une république Française, 1870-1940 » (Bouquins, 1344 p. 35 €)