Les prisons françaises sont-elles vraiment les nids de radicalisation que l’on nous décrit parfois ?

Sur les 66 000 personnes actuellement incarcérées dans notre pays, environ 1 400 sont suspectées d’être dans un processus de radicalisation. Il ne faut donc pas nier que le phénomène existe, même s’il reste minoritaire. Ce qui a changé depuis le début de la vague d’attentats, c’est l’attention portée à ces questions, la volonté d’embaucher plus d’aumôniers et de mieux les former. C’est vrai que leur rôle est important, et pas seulement d’un point de vue religieux : dans ces lieux d’extrême promiscuité que sont les prisons, ils contribuent à apaiser les conflits et à faire le lien avec l’extérieur, parfois aussi avec la famille…

Vous avez travaillé sur la justice restaurative (voir encadré). Où en est-on en France de l’introduction de cette alternative à la justice pénale traditionnelle ?

Il y a actuellement beaucoup de demandes de formation sur ces pratiques de la part d’associations d’aides aux victimes et de travailleurs sociaux du domaine pénitentiaire. Par ailleurs, de nombreuses expériences basées sur ce concept sont menées, comme à Lyon, Strasbourg et dans le Sud-Ouest par exemple. C’est en train de prendre mais c’est long, coûteux, et cela nécessite une grande volonté…

Vous vous intéressez beaucoup aux neurosciences. Que nous apprennent-elles sur les mécanismes de passage à l’acte ?

Les neurosciences permettent de mettre en lumière l’activation ou l’inactivation des zones du cerveau impliquées dans certains passages à l’acte criminels. Par exemple, à l’aide de stimulus visuels, il est possible d’observer la « réaction » du cerveau lors des troubles de la sexualité comme la pédophilie.

Dans l’usage des neurosciences, comment se prémunir d’éventuelles dérives sécuritaires, voire eugénistes ?

Il est nécessaire de bien définir leur place dans l’explication des mécanismes. En effet, si certaines recherches ont pu montrer l’activation de zones du cerveau dans certaines pratiques déviantes comme la pédophilie, pour autant elles ne peuvent expliquer la cause de ce fonctionnement cérébral (environnement ? éducation ? etc.) ni prévoir le passage à l’acte. Ces travaux permettraient à terme d’orienter les traitements thérapeutiques futurs en proposant, par exemple, des techniques de stimulation cérébrales.

Concrètement, l’accompagnement à la dé-radicalisation que vous faites, ça consiste en quoi ? 

Nous ne parlons pas de dé-radicalisation. Ce terme est controversé car il implique notamment que des techniques permettraient d’enlever une croyance à un individu. Pour reprendre l’image des neurosciences, c’est comme s’il suffisait d’ouvrir le cerveau d’une personne, de lui retirer la partie « croyance radicale » et de le refermer. Or, les personnes engagées dans un processus de radicalisation ont de « bonnes raisons » d’adhérer à leur système de croyance. Ce qui les distingue des croyants ordinaires, c’est qu’elles sont dans un rapport inconditionnel. Il s’agit alors de tenter de leur faire prendre de la distance par rapport à leur système de croyance. L’accompagnement suppose également une prise en charge pluridisciplinaire car derrière « l’écran radicalisation » se cachent très souvent d’autres problématiques sociale, éducative, etc.

 

L’essentiel de Rachel Sarg

  • 1981 : naissance à Strasbourg
  • 2006 : choix de poursuivre en sociologie, suite à la rencontre de Gérard Bronner, spécialiste de la sociologie des croyances : « J’ai beaucoup d’admiration pour sa dimension intellectuelle. C’est lui qui m’a donné le déclic et m’a soutenue.»
  • 2016 : publication de La foi malgré tout – croire en prison, éditions PUF
  • Ses passions : les animaux, le rap et les musiques actuelles, la cuisine libanaise, mais aussi la salsa, la course à pied et « rire en famille ou avec mes amis».

Qu’est-ce que la justice restaurative ?

Née au milieu des années 1970 sous l’impulsion d’un mennonite, le Canadien Howard Zehr, cette approche non-traditionnelle de la justice pénale est surtout présente dans les pays anglo-saxons. Parce qu’elle vise à réparer plutôt qu’à punir, elle ne s’intéresse pas tant à l’acte délictuel lui-même, qu’à la relation entre son auteur, la victime, leur entourage et la société. Pour cela, elle offre un espace de dialogue permettant de tenter une réparation. Il ne s’agit ni d’une thérapie, ni d’une démarche destinée à conduire au pardon. Concrètement, la justice restaurative consiste, après une longue préparation individuelle de tous les participants, en une succession de rencontres pilotées par un animateur spécialement formé.

Bien que décriée par ceux qui y voient l’expression d’une « justice laxiste » et la considèrent comme une mauvaise solution à la surpopulation carcérale, la justice restaurative a été introduite dans la loi française en août 2014. 25% des services pénitentiaires d’insertion et de probation de l’hexagone expérimentent actuellement ses programmes (chiffre indiqué par Médiapart en janvier 2017).