Les oeufs ? Non, je ne vais pas en prendre, il m’en reste encore de la dernière fois. » D’un pas léger dans son large pantalon jaune, une longue jeune fille brune s’avance vers les cagettes en bois remplies de pommes, bananes et autres salades. Au compte-goutte, les étudiants entrent, les uns après les autres dans la grande salle du restaurant universitaire du Stift. Les chaises retournées sur les tables rappellent que l’endroit est fermé depuis le début de la crise sanitaire. En ce mardi après-midi de fin mars, le soleil et la douce température de printemps feraient presque oublier le contexte qui plombe les étudiants. Ce n’est plus un scoop : isolement, décrochage, précarité, la crise a plongé certains d’entre eux dans des situations délicates.

Pour leur venir en aide, la solidarité des paroisses protestantes s’est mise en marche. « C’est une histoire qui a commencé en mai dernier, au sortir du premier confinement, très strict », explique Julien Petit, aumônier universitaire à Strasbourg. « L’idée a germé que ces courageux étudiants, qui ont tenu pendant deux mois, ont peut-être besoin de reprendre des forces. À ce moment-là, on laissait un panier sur la table de la salle commune du foyer étudiant et chacun pouvait se servir. On a senti que ça leur faisait plaisir », poursuit-il. En septembre, Matthias Dietsch, autre aumônier universitaire strasbourgeois, propose de poursuivre l’initiative alors que la rumeur d’un deuxième confinement circule. « On s’est dit qu’on ne pouvait pas rester les bras croisés d’autant plus que les étudiants restaient davantage à Strasbourg qu’au printemps dernier », ajoute Julien Petit. 

« Je peux manger plus sain, plus bio, plus local »

C’est au Jardin de Marthe, un maraîcher bio situé à Strasbourg, que le Stift se fournit. « C’est simplement l’endroit où j’allais faire mes courses », sourit Julien Petit. « Leurs produits sont bons, pas très chers et surtout, ils se situent à moins de deux kilomètres d’un de nos foyers. Ils souhaitaient depuis longtemps faire quelque chose en faveur des étudiants et notre proposition était donc la bienvenue », détaille l’aumônier. Les paniers, d’une valeur de 10€ sont ensuite distribués aux étudiants contre 1€ – la différence étant prise en charge grâce aux dons. Molly, étudiante américaine en web-design, valide la démarche : « Cela me permets de manger plus sain, plus bio, plus local. » La jeune américaine de 25 ans, qui vit en France depuis trois ans, esquisse un sourire gêné pour raconter ses difficultés financières, « surtout pour les étudiants étrangers ». Elle a connu l’initiative grâce à une publication sur Facebook. Les paniers repas qu’elle récupère lui durent plus d’une semaine : « j’ai toujours des restes du panier d’avant quand je viens chercher le suivant », explique Molly. C’est au tour de Lucie et Agathe, deux étudiantes en orthophonie, d’entrer dans le restaurant universitaire, sachet à la main. Matthias Diestch fait résonner un chaleureux « bonjour, bienvenue ! ». À 23 et 20 ans, les deux jeunes filles vivent en colocation. Elles aussi évoquent les soucis financiers causés par la situation actuelle et estiment avoir fait des économies en venant chercher les paniers repas.

À chaque étudiant, Matthias Dietsch propose un verre de jus de pomme d’un producteur local, histoire de créer du lien, d’installer de la convivialité. « La santé mentale des étudiants est devenue un vrai sujet. Nous avons rencontré des étudiants en situation de détresse existentielle et financière », confie Julien Petit. « Un petit jus de pomme, un ‘comment ça va ?’. Ce sont de petites discussions informelles, mais c’est aussi la mission de l’aumônerie. »