Quand j’entends les prises de position tranchées, assurées et parfois passionnées à propos de la loi sur la fin de vie et l’aide à mourir, je pense à cette vieille chanson d’Anne Sylvestre : « J’aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer […] J’aime les gens qui tremblent, que parfois ils ne semblent capables de juger. »
Je doute et je tremble car d’un côté je sais que les progrès de la médecine font qu’on peut prolonger la vie au-delà du raisonnable ; d’un autre côté, au regard de la situation des hôpitaux et des déficits des finances publiques, on ne peut être assuré qu’à terme ne s’insinue une incitation insidieuse à mourir par économie ou par commodité pour les vivants.
Je doute et je tremble car trop souvent on oppose un suicide assisté apaisé et serein à une fin de vie de souffrance et de solitude, mais jamais on n’oppose un suicide qui laisse une blessure dans la mémoire des survivants à une fin paisible entouré des siens.
Je doute et je tremble car le fait de donner la mort est un interdit universel et structurant pour une société et qu’une fois qu’on l’a fait sauter, les critères deviennent flottants. Dans les pays où l’aide à mourir a été légalisée, les possibilités n’ont cessé de s’étendre.
Je doute et je tremble car je sais que légiférer sur la fin de vie va dans le sens de l’histoire, mais nulle part il n’est écrit que l’histoire va toujours dans le bon sens.
Si j’étais un parlementaire appelé à légiférer, je ne sais quel serait mon vote, mais il y a une chose dont je suis sûr, c’est qu’au moment d’appuyer sur le bouton, je le ferais avec crainte et tremblements.
Antoine Nouis, directeur de l’hebdomadaire Réforme