François Bayrou a récemment défrayé la chronique en évoquant un « sentiment de submersion » à propos de l’immigration en France. Mis en cause pour avoir repris à son compte des termes martelés par l’extrême droite, il a cru bon de préciser : « ce ne sont pas les mots qui sont choquants, ce sont les réalités ».

La submersion désigne un recouvrement total, un envahissement complet. Selon l’Insee, en 2023, 7,3 millions d’immigrés vivent en France, soit 10,7 % de la population totale. 2,5 millions d’immigrés, soit 34 % d’entre eux, ont acquis la nationalité française.

Le terme « submersion », à propos du flux migratoire, ne décrit donc en rien une réalité : c’est une image anxiogène fabriquée à des fins politiques. François Bayrou le sait puisqu’il a évoqué un sentiment. C’est pourquoi sa remarque ultérieure est plus inquiétante encore : ce qui devrait choquer ce n’est plus le mot, mais la réalité. Le réel n’est plus nécessairement ce qu’il est mais ce que l’on veut faire croire qu’il est.

Les populistes œuvrent à imposer ces mots dans le débat public afin de gagner d’abord la bataille culturelle, idéologique, comme l’a théorisé Antonio Gramsci. C’est ainsi que les termes « français de papier », « de souche », « préférence nationale », « ensauvagement », ont fait leur chemin. Progressivement, une accoutumance à ces concepts se propage ; ce qui pouvait révolter convainc ou laisse indifférent.

L’amalgame, la simplification, le rejet, le mensonge ne sauraient constituer le terreau d’une société heureuse. Il ne s’agit pas de nier naïvement les difficultés de notre société, mais de ne pas sacrifier à des représentations fausses ou tronquées.

Le logos divin est créateur, les mots des hommes peuvent être destructeurs.

Jean-Marc Defossez, magistrat, pour « L’œil de Réforme »

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