La foi chrétienne est-elle compatible avec l’engagement politique ? Très certainement, et pour une raison décisive : l’Incarnation de Dieu en Jésus-Christ. Notre Père céleste n’est pas un dieu qui se désintéresserait de sa Création, ou qui ne donnerait d’importance qu’au salut individuel. Toutes les dimensions de la vie humaine, y compris les dimensions collectives et le vivre-ensemble, lui sont chères. C’est pourquoi il nous a rejoints en Jésus-Christ, qui a donné à ses disciples des orientations et des impulsions de type « politique » bien particulières : « Vous savez que les chefs des nations les tyrannisent, et que les grands les asservissent. Il n’en sera pas de même au milieu de vous. Mais quiconque veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur ; et quiconque veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre esclave » (Matthieu 20, v. 25-27). Ainsi l’évangile tout à la fois valorise les questions politiques, et les déplace, voire les subvertit, pour indiquer une autre façon de faire de la politique, bien différente des manières courantes : un engagement total et radical dans le service. C’est d’ailleurs le sens premier du mot « ministre » : qu’il soit ministre du culte ou ministre de la République, il s’agit d’un « serviteur ».
Il ne semble donc pas légitime, comme on le fait parfois, d’invoquer la parole de Jésus au sujet de l’impôt dû à César pour défendre une position totalement apolitique des chrétiens. « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », répond Jésus à ceux qui l’interrogent sur l’attitude à adopter vis-à-vis des impôts (Matthieu 22, v. 21). Il apparaît clairement ici que les deux registres, théologique et politique, se doivent d’être distingués, mais chacun est reconnu à sa juste mesure ; sinon, Jésus prônerait le refus de payer ses impôts. Le croyant qui s’acquitte de ses devoirs civiques honore donc sa double allégeance, à Dieu et à la cité. Sans nullement se confondre, ces deux appartenances doivent s’articuler.
Pour une politique éthique
Si donc la foi chrétienne et l’engagement politique sont tout à fait compatibles, comment les conjuguer ? Comment mettre en œuvre une autre manière de faire de la politique, dans un esprit intégral de service ? On ne peut guère ici qu’esquisser quelques pistes : avoir le souci du bien commun, et toujours le faire primer sur les intérêts partisans ; prêter sa voix aux sans-voix, aux plus faibles et aux plus humbles ; s’obliger à une conduite droite et intègre, être prêt aux compromis mais jamais aux compromissions ; privilégier la vision à long terme plutôt que les calculs liés aux échéances électorales ; maintenir le dialogue avec tous, cultiver l’écoute et ne pas transiger avec le principe du respect dû à l’adversaire ; déjouer les pièges tendus par la logique médiatique, en résistant aux séductions de l’apparence et au jeu des petites phrases ; en bref, donner de la hauteur à la vie politique, en réconciliant éthique et politique.
Mais franchissons un pas de plus. Au risque de nous bousculer, ayons l’audace de dire, avec le théologien Jacques Ellul, qu’il importe qu’il y ait des chrétiens dans tous les partis politiques, à condition que ces femmes et ces hommes osent faire prévaloir leur communion avec leurs frères et sœurs chrétiens des autres partis, sur leurs propres solidarités partisanes… On verra peut-être là une utopie totalement irréaliste ; mais c’est précisément cette utopie qui peut amorcer la mutation dont la vie politique, notamment en France, a tant besoin. Sans quoi nous retomberions dans les ornières des rivalités stériles et du divorce croissant entre le spectacle politique et les aspirations de la population. Pourvoyons donc les partis politiques de serviteurs intègres, enracinés dans leur foi et leur amour du Seigneur, et la sphère politique en sera transformée, pour le bien de tous.