Il n’y a pas un événement aujourd’hui qui n’entraîne un flot de commentaires contradictoires ou de contre-vérités assénées comme des certitudes, tenues de sources indiscutables.
De la personnalité de Bernard Tapie (génie ou escroc ?) en passant par la campagne de vaccination (succès gouvernemental ou prochaine catastrophe sanitaire ?) à l’emballement de l’Arc de Triomphe (chef d’œuvre ou fumisterie ?), tout le monde y va de ses commentaires laudatifs ou critiques, de ses pseudos-révélations sans oublier le complotisme qui irrigue désormais absolument tous les sujets : le prix du carburant, le pass sanitaire, le nouveau bac, le PSG, le chômage, le dernier James Bond, la gestion de la Ville de Paris…
Des opinions, oui, mais défendues mordicus avec l’intention plus ou moins affichée de convertir les autres à sa manière de voir les choses. Car pour beaucoup, leur opinion est constitutive de leur identité. La remettre en cause ou la dénier serait un signe de rejet personnel.
Avant, au sein d’un même groupe social (famille, amis) on partageait peu ou prou les mêmes opinions ou manières de voir les choses, essentiellement du fait d’une relative similitude de valeurs. Aujourd’hui, il arrive qu’on ne reconnaisse pas ceux qu’on considère comme nos proches, tant leur jugement ou leur comportement nous paraissent à cent lieues de nos propres considérations. Mais qu’a-t-il bien pu leur arriver ?
Comme moi, vous avez sans doute tenté d’argumenter de manière rationnelle avec des anti-vax, ou n’importe quel complotiste qui colporte des informations fausses, déformées avec une mauvaise foi révoltante ? Si ces attitudes sont fréquentes sur les réseaux sociaux, il est facile de couper court en se déconnectant, ou de laisser glisser face à un inconnu qui se cache derrière le pseudonyme d’un héros de série télévisée – aussi agressif soit-il. Personnellement, j’estime que je n’ai rien à leur prouver. Mais il en est tout autre quand il s’agit de nos proches, dont nous désespérons de voir qu’ils se laissent abuser – ou qu’au contraire ils usent d’une position affectivement dominante pour convertir ou tyranniser tout leur entourage.
J’en ai soupé des périodes de disette sociale, et je n’ai aucune envie que les diners ou week-ends des prochains mois se transforment en pugilats consanguins – Tonton Marcel contre ma cousine Josette ou Thierry de la compta contre Virginie du juridique. Tout simplement parce que je les aime bien tous les deux, et que j’aspire à la tranquillité.
Nous l’avons tous expérimenté, argumenter ne sert à rien, face à quelqu’un qui est convaincu d’avoir raison. Or laisser faire présente un risque de dérapages, et de dommages encore plus lourds sur les relations entre chacun. Alors, comment s’en sortir ?
Voici quelques stratégies à tenter, et même à cumuler :
- Adopter soi-même une attitude ouverte et conciliante, en évitant les sujets délicats, et en s’abstenant de mettre de l’huile sur le feu de toute conversation qui reflète une opinion différente de la nôtre. Personne n’a à triompher de personne et il est souvent utile de se souvenir pourquoi on est rassemblés – principalement pour passer un bon moment.
- Décider en début de repas/de week-end, des sujets qu’on n’abordera pas : tel homme politique, le vaccin, le port du masque, la Russie, l’immigration, la religion… Hélas, ces bonnes résolutions ne tiennent parfois qu’un temps… Au besoin, on peut décider d’un mot-clef (« Chat perché ! ») à crier dès que la conversation dérive.
- Reprendre avec douceur quelqu’un qui s’échauffe, pour lui faire observer son comportement en étant factuel : « Tiens, j’ai l’impression que tu t’emballes sans t’en rendre compte », « Josette te faisait juste une remarque, elle n’a pas voulu te blesser … ». Il peut être important de dissocier le comportement et les émotions associées, sans porter de jugements du style « Mais pourquoi tu t’énerves ? » (qui appelle, immanquablement un « Mais non, je suis très calme ! », courroucé). D’une manière générale, il vaut mieux utiliser le « je », que le « tu ». On peut donc remplacer le « tu parles trop fort » par un « Je ne vous entends plus ».
- Changer de sujet. Dès qu’un sujet polémique pointe son nez, on peut orienter la conversation sur autre chose, l’air de rien. Le plus facile : ramener chacun sur la qualité du dîner. « Et vous le trouvez comment, mon gratin dauphinois ? », ou encore « Vous ne trouvez pas que ce petit Bourgueil est légèrement bouchonné ? ».
- Couper court avec humour – une arme absolue dans bien des circonstances : « Allez, je sens que vous allez encore vous étriper. Tonton Marcel, viens plutôt t’énerver sur le gigot, tu le découpes tellement bien ! ».
- Faire une liste de sujets anodins et alternatifs, à dégainer à tout moment. « Est-ce que quelqu’un sait à quelle période je dois rentrer mes géraniums ? ».
- Rappeler un souvenir positif et commun : « Vous vous souvenez, il y a deux ans, quand Thierry s’est déguisé en Père Noël, et que le gardien ne voulait pas le laisser rentrer ? ».
- Poser des questions qui ont à voir avec la vie de famille ou du bureau, et qui peuvent valoriser d’éventuels belligérants : « Tu sais quand est née notre grand-mère Alphonsine ? Tu as toujours été très fort sur les dates… » ou « Comment s’appelait ce type qui travaillait aux achats et qui oubliait systématiquement de commander les cartes de visite de Paul ? ».
- Proposer un jeu. Thierry va adorer jouer en équipe avec Virginie – même si l’un est vacciné, et l’autre pas.
La période est encore fatigante, par ce qu’elle nous demande en vigilance et adaptation. Inutile de charger davantage notre barque émotionnelle en devenant l’arbitre de conflits sans intérêts, mais qui peuvent blesser durablement ceux que l’on aime.