Les Églises s’adressent souvent séparément aux deux générations. Penser différemment la communication et les moyens qu’elle offre permettrait pourtant la rencontre et le témoignage. Réflexions issues de pratiques paroissiales.
Il est révolu, ce temps où grands-parents, parents et enfants vivaient sous le même toit. Il fut, durant des siècles, la norme d’une France majoritairement campagnarde, favorisant la transmission des savoirs et de la foi. Devenu citadin et moderne, notre monde vit au quotidien la famille sur deux générations, parents et enfants. L’histoire racontée aux enfants par les grands-parents le soir avant d’aller dormir devient un luxe tendre au parfum suranné. Ces deux générations aux extrémités de la vie se parlent moins et la rapidité croissante de l’évolution technologique et des mentalités accentue encore ce qui peut être aujourd’hui considéré comme une fracture générationnelle. La foi de Mamie ne parle plus aux jeunes, qui la connaissent d’ailleurs peu. Or les outils actuels de communication recèlent des possibilités de dialogue méconnus, pour peu qu’on s’y intéresse.
Des médias linéaires d’information
Une illustration de cet éloignement progressif des mentalités est la manière que chacun a de vivre et structurer son esprit autour de certains médias. Le sort réservé à la radio pourrait ainsi sembler sombre. C’était, jusqu’à il y a peu, un média dit linéaire, c’est-à-dire qu’il suivait une ligne éditoriale com-posée d’une suite d’émissions mises bout à bout, comme les wagons d’un train. Pour choisir une émission, la seule solution était de zapper d’une radio à l’autre ou d’attendre l’heure fixée comme on attend le train.
Si la presse et les sites internet paraissent plus faciles d’accès, ils subissent également une désaffection de la part des enfants et des jeunes. Une des causes paraît être que tous ces médias classiques sont des supports d’information et proposent un contenu fixe. Ils véhiculent une idée de l’information qui part d’un lieu de savoir pour se diffuser au monde, sur un modèle dominant ou d’influence : « je sais, je te dis, je t’informe, je te fais comprendre ». Or ce modèle de communication verticale devient de plus en plus pesant pour les jeunes générations. La baisse de fréquentation du culte chez les jeunes relève peut-être en partie de ce mode de transmission, alors qu’on les sait sensibles à d’autres formes de vie d’Église comme les rassemblements de type Grand Kiff ou les temps de débat.
Des médias de réseau réactifs
Les nouvelles technologies ont sacré l’apparition des réseaux sociaux, principale source d’information des jeunes actuellement. Instagram, Twitter, Facebook, déjà en perte de vitesse chez les plus jeunes, se sont développés sur l’idée de réseau choisi. Il ne s’agit plus de suivre une ligne éditoriale imposée, mais de constituer une bande d’amis ou de connaissances au milieu des-quels on recherche le sujet que l’on souhaite. L’information partagée est largement moins fiable, mais elle se consulte à la carte. On est bien loin de l’histoire contée par Mamie au coin du feu. Mais la démarche de réseau ne suffit pas, les enfants et les jeunes revendiquent l’adrénaline de la réactivité. De nouveaux réseaux se sont créés comme Tik Tok ou Telegram, centrés sur les informations personnelles que chacun partage dans des cercles fermés et commente dans l’instantané de la réactivité. C’est un autre monde. La transmission s’y fait par l’expérience entre pairs et non plus par le côtoiement des générations. Cela peut paraître étonnant, mais la foi n’est pas absente de ces réseaux et les questions éthiques y sont constamment évoquées, notamment concernant le sentiment de justice ou l’environnement.
Solitudes parallèles
Deux mondes se côtoient donc sans se croiser, mais semblent vivre une solitude de même ordre. Lors de contacts pris pour dresser une liste des personnes à joindre par téléphone ou visiter durant la période de Covid, des responsables d’Églises ont été choqués par l’état de dégradation de certains paroissiens âgés. Ils n’avaient pas vu âme qui vive depuis parfois des semaines. À l’autre extrémité des générations, les services sociaux à l’enfance décrivent des situations d’enfants désorientés, les Crous universitaires alertent sur la détresse étudiante et l’augmentation des demandes de consultations psychologiques. Plus d’un tiers des jeunes est actuellement en réelle difficulté. Si l’Église peut prêter attention à ces situations d’un point de vue social et fraternel, les outils de communication dont elle dispose peuvent favoriser de nouveaux ponts entre générations et porter un témoignage mutuel.
Les lignes évoluent
Car les lignes évoluent, les médias se transforment et font naître de nouveaux possibles. Du côté des médias classiques, la presse se met à l’internet, la radio au numérique et aux podcasts, internet s’ouvre à l’interactivité. Il devient plus facile de choisir son émission parmi un catalogue, pour écouter ce que l’on souhaite apprendre, et d’y réagir. Du côté des réseaux de réactivité, la sensibilité aux fake news et les récentes affaires de harcèlement favorisent une régulation des échanges. Les conte-nus sont de plus en plus qualitatifs et des chaînes regroupant des vidéos ou podcasts thématiques se créent en grand nombre. Les deux mondes e rejoignent. On peut voir dans ces évolutions les tentacules des Gafas étendant leur pouvoir en quête de nouveaux marchés. On peut aussi y discerner une possibilité de liens jusqu’alors difficiles entre générations. La radio de Mamie et le smartphone de ses petits-enfants peuvent se relier ; il suffit aujourd’hui de le proposer et de le vouloir.
Plateformes d’échanges
Certaines Églises commencent déjà à utiliser ces possibilités pour émettre des vidéos pastorales ou faire des études bibliques interactives. Mais on peut aller plus loin et imaginer des plateformes d’échanges. D’abord, il devient naturel que le même contenu puisse être adapté pour la presse, la radio, les podcasts ou les réseaux sociaux. Outre l’économie d’énergie que cela représente à la conception, toutes les générations peuvent être touchées par le même sujet en même temps. La conversation redevient possible. Une paroisse ou une région peuvent également mettre en place des lieux de réactivité, de partage, d’échanges d’expérience, sous la forme de plate-formes de parole hébergées sur des sites internet directement reliés aux réseaux sociaux. L’imagination suffit à prévoir des débats, une louange ou des rendez-vous théologiques ou éthiques sur des sujets que jeunes et grands-parents auront pu prévoir et choisir. Certains déploreront ces modes de communication décriés comme virtuels, d’autres s’en réjouiront au motif qu’ils sont devenus la réalité de notre monde. Ils sont pour l’Église une manière de retisser les liens entre deux générations qui vivent aujourd’hui une solitude parallèle. Il est curieux de penser que ce monde moderne qui les a hier socialement séparés peut aujourd’hui développer les techniques nécessaires pour les remettre en lien. De nouveaux lieux de témoignage s’ouvrent, pour lesquels la disponibilité des anciens peut devenir utile aux plus jeunes, et favoriser un témoignage réciproque. L’enjeu est de taille.