À regarder le théâtre pathétique de la vie politique française, difficile de ne pas parler de corruption. Pas seulement des affaires qui encombrent les tribunaux, mais d’une corruption plus sourde : celle d’une classe politique enfermée dans ses certitudes, incapable d’écouter, allergique au compromis. Et ce refus d’ouverture conduit le pays au bord du gouffre : celui du chacun pour soi, de la victoire de la peur.
Facile d’accuser les élus. Mais Machiavel l’avait vu : les dirigeants corrompus ne tombent pas du ciel, un peuple corrompu les élit. À chaque scrutin, chacun vote d’abord pour soi. La corruption ne commence pas dans les comptes bancaires, mais dans les cœurs. Elle naît quand ce que nous recevons – dons, responsabilités, confiance – cesse de circuler. Quand le don devient privilège, la reconnaissance devient calcul, et la charge, rente. Alors le lien se fige, et tout se pervertit.
Pourquoi la main se referme-t-elle ? Par peur. Peur de manquer, de perdre, de ne pas être reconnu. Cette peur pousse à verrouiller, à accumuler. Comme le peuple d’Israël regrettant les marmites d’Égypte : mieux vaut l’esclavage rassurant que la liberté risquée. Quand le monde n’est plus reçu comme un don, il devient butin.
Face à cette crispation, une autre voie s’ouvre : la gratitude. Elle n’est pas politesse mais clairvoyance : reconnaître que ce que j’ai m’est donné, et remonter jusqu’à celui qui donne. Luc raconte l’histoire de dix lépreux guéris : un seul revient dire merci, car il comprend que le don et le donateur ne font qu’un.
Dire merci, c’est refuser le cynisme, la comparaison, la peur. C’est retrouver confiance dans un monde encore traversé de dons. Par quoi commencerons-nous ? Par l’inventaire de nos manques, ou par la reconnaissance de ce qui nous est donné ?
Samuel Amedro, pasteur, pour « L’œil de Réforme »
