Deux sujets m’occupent et me préoccupent en ce moment : le « Projet de loi confortant le respect des principes de la République » et le Covid. A première vue, ces deux actualités n’ont rien à voir. Et pourtant elles questionnent toutes les deux un élément central qui nous semblait acquis : la liberté.

Les restrictions sociales liées au COVID ont mis à mal notre liberté, entre le port du masque obligatoire partout, la fermeture des lieux dit « non essentiels » et le couvre-feu. Même pendant la deuxième guerre mondiale, les cafés et les salles de spectacles n’avaient pas été fermés. Les cinémas faisaient salles combles car les gens avaient besoin d’oublier le quotidien anxiogène dans lequel ils vivaient, de danser, chanter, essayer d’oublier. Et nous ? Nous sommes seulement autorisés à errer, les lunettes embuées, dans les rayons des hypermarchés. Tout ce qui nous faisait rêver, rire, se rencontrer a disparu.

Ce qui nous manque

Alors comme dans tous lieux culturels, à la Maison Ouverte tout est en suspens. Je m’y étais rendue juste avant le premier confinement, un soir d’hiver pluvieux. Au coin d’une rue déserte, une porte ouverte d’où s’échappaient des voix, des rires, un peu de musique ; des gens allaient et venaient un verre à la main. Comme dans une fête. L’ambiance était très chaleureuse, il y avait beaucoup de monde. La salle du bar était surchauffée. Dans la grande salle, une conférence sur un groupe de migrants climatiques qui fait une marche non-violente pour la justice climatique. Le pasteur et coordinateur de la Frat, Stéphane Lavignotte, s’affairait : une visio conférence avait eu lieu avec le groupe de migrants. Le public s’installait sur des bancs faisant face à une table derrière laquelle venaient de prendre place quatre personnes venues pour échanger sur « la place de la spiritualité dans l’engagement pour la justice sociale et écologique ». Pendant ce temps, sur la scène, un groupe de musique se préparait. Des personnes allaient et venaient entre les deux salles, discutaient, se saluaient. Tout le monde semblait se connaître.

Il y a une éternité

Sur un présentoir, avec toutes activités proposées : théâtre pour les migrants, ateliers d’écriture, peinture, danses… Ce lieu foisonnait d’idées et d’activités culturelles et conviviales. Et puis d’un coup, tout le monde s’est agité, la conférence était terminée. D’un même élan chacun est allé ranger chaises, bancs et tables pour dégager l’espace devant la scène : c’était l’heure du bal folk. Le groupe s’est mis à jouer et tout le monde s’est mis à danser. Certains montraient les pas à faire. C’était vraiment gai, joyeux. Les gens étaient heureux d’être là, ensemble. Et je m’étais alors formulée que j’aimerais bien avoir un lieu comme ça à côté de chez moi… C’était il y a moins d’un an et pourtant c’était il y a une éternité. Aujourd’hui on se demande quand la Maison Ouverte aura à nouveau la liberté d’organiser à nouveau des soirées festives, intelligentes et culturelles ? Quand toutes les associations qu’elle accueille auront-elle la liberté de revenir ? Alors bien sûr la Maison Ouverte, malgré les restrictions et les interdictions s’est réinventée : accueil d’un écrivain public, organisation d’un marché des lumières, hébergement de jeunes mineurs étrangers isolés.

Donc en fait tout va bien, pourrait-on se dire : c’est une question de temps, le COVID passera et tout pourra recommencer comme avant.

Liberté d’association en danger ?

Et pourtant, en ce moment, alors qu’on a tous les yeux rivés sur les statistiques du Covid et qu’on attend fiévreusement l’annonce du jeudi soir, pendant ce temps, dans l’indifférence générale, les députés sont tranquillement en train de de démanteler la liberté d’association, la liberté que nous avons tous, chacun et chacune, de nous regrouper et d’ensemble, imaginer et créer des lieux comme la Maison Ouverte. En ce moment, une partie de l’actualité politique française est consacrée à cette fameuse loi « séparatismes », censée lutter contre le terrorisme imposant plus de contraintes pour les religions. Les différents représentants des cultes ont d’ailleurs été entendus par le groupe de travail de Rugy à l’Assemblée Nationale le 4 janvier. J’ai regardé l’audition du Président de la Fédération protestante de France et j’ai été scandalisée par les questions posées par les députés, car elles révélaient à quel point ils ne connaissaient rien au protestantisme.

Ainsi à trois ou quatre reprises les députés ont interpelé le Pasteur François Clavairoly sur la question des écoles privées protestantes. ! Voyons, un peu de culture générale Mesdames et Messieurs les députés ! Ou à défaut de curiosité ! Vous auriez pu au moins faire l’effort d’aller regarder sur Wikipédia ce qu’était le protestantisme ! Vous y auriez appris que les protestants français se sont battus pour la laïcité des écoles publiques, afin que leurs enfants puissent en bénéficier.

Liberté de plaidoyer ?

Et au-delà des questions autour de la liberté de culte, dans cette loi ce ne sont pas seulement les associations cultuelles en 1905 qui sont mises à mal : c’est tout le monde associatif qui est visé. Et notamment par l’article 6 le contrat d’engagement républicain ; car il menace la liberté de plaidoyer et d’action des associations 1901 ; et en particulier la liberté de certaines associations emblématiques comme la Cimade, mais également de toutes autres associations engagées, surtout aux côtés des migrants. Or au sein de la Mission Populaire, nombreuses sont les Frats qui accueillent, domicilient voire hébergent des migrants : le Foyer de Grenelle, les Maisons Verte et Ouverte… Vont-elles être sanctionnées à cause de leurs convictions et leurs positions en faveur des plus démunis ? Que devient le christianisme social dans cette loi ? Un pasteur, ministre du Culte, sera-t-il interdit de faire de l’action sociale et de diriger une Frat ?

Alors si, une fois l’ère Covid passée, vous avez envie de retrouver les associations auxquelles vous tenez : Mobilisez- vous !

(1) Le « contrat d’engagement républicain » prévu à l’article 6 menace la capacité de plaidoyer et d’action des associations « 1901 » en subordonnant le versement de subventions publiques au respect de « la sauvegarde de l’ordre public ». Cette formulation floue fait craindre que leurs contestations de certaines politiques publiques ne soient jugées par les décisionnaires comme s’opposant à l’attribution de concours financiers dès lors qu’elles mettent en cause l’ordre établi. Ce risque est plus avéré encore au regard de certaines formes d’engagement vite requalifiées en délits, notamment dans le domaine de l’exclusion et de l’accueil de l’étranger.