Le joli nom qu’il avait, comme un vol d’hirondelle à deux pas de la Seine. Avec ça les capelines des mondaines, tout un bal de tendresse et d’extase pour des cyclistes jouant leur destin sur une piste acajou. Légende, honneur suprême, Alain Delon se souvient d’avoir porté la moitié d’une roue, des boyaux, que sais-je ? De Fausto Coppi, le campionissimo. Le vélodrome d’hiver a mis les voiles en 1959, mais il demeure en notre mémoire. Pas pour le retour de Thorez- pourtant, c’est là que le Parti choisit de mettre en scène la réapparition du grand Maurice. Pas non plus pour les premiers spectacles d’Holiday on Ice- et pourtant, rebelote, il y aurait de quoi dire : toutes ces filles et tous ces garçons, sur des patins à glace, alors que l’Amérique était un mythe inaccessible au populo…
Gardons-nous des mots. Rien n’affaiblit comme la grandiloquence. Plutôt que d’entrer dans la fosse où 13 152 personnes ont été parquées, le 16 juillet 1942, évoquons quelques survivants. Tenez, Marcel Rotherman avait sept ans, titi courant les rues, fragile et tenace à la fois. Par un chemin détourné, le petit bonhomme avait trouvé refuge dans une mansarde, au coin de la rue Geoffroy Cavaignac. Depuis ce poste particulier, la file indienne de la place Voltaire, baluchons, casquettes et robes froissées ne pouvaient lui échapper. Dans un atelier discret du dixième arrondissement, Jean-Michel Rosenfeld était, en compagnie de sa mère, emmitouflé sur un transat :

« nous entendîmes des cavalcades, des bruits de pas de policiers qui montaient dans les étages, des voisins qui descendaient avec des valises », écrira-t-il beaucoup plus tard dans son livre « Les lumières de l’espoir » (éditions La Bruyère, 82 p., 14 €).

Pendant ce temps-là, notons-le, la concierge fredonnait, par haine des juifs, un des succès de Rina Ketty, « C’est une petite étoile ». Au pied de la Butte enfin, parmi trente adultes réfugiés dans une toute petite pièce à l’initiative d’une voisine, un autre petit Marcel apprenait le silence et la terreur. Beaucoup plus tard, il inventerait Gay Luron, la Rubrique-à-brac, aventures pour amuser les enfants, publiées sous le nom de Gotlib.
Oui, les policiers parisiens ont obéi aux ordres de leur chef, René Bousquet. Mais certains d’entre eux, nous ne devons pas le négliger, se sont montrés plus téméraires, prévenant la veille telle ou telle de leurs connaissances que se préparait une rafle. En 1995, commémorant la rafle du Vel’ d’Hiv’, Jacques Chirac a déclaré : « La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. » Ces paroles ont touché le cœur de beaucoup de nos concitoyens, mais elles peuvent susciter le débat. Robert Badinter en conteste le bien fondé, parce qu’elles donnent au régime de Vichy -de manière involontaire, bien entendu- la légitimité que les Résistants de toutes les obédiences lui déniaient jusqu’alors. Ce n’est pas la France qui, le 16 juillet 1942, a commis l’irréparable, pas même « les » Français, mais « des » Français qui, prétendant représenter notre pays, salissaient son honneur, tandis que d’autres, beaucoup d’autres, n’écoutant que leur courage et leur conscience, agissaient pour protéger les juifs.
Chacun sait que les protestants de France ont en grande partie lutté contre les persécutions. L’éclat du Chambon-sur-Lignon ne doit pas masquer les multiples initiatives. Ainsi recommandons-nous le témoignage formidable du pasteur Jean Alexandre, « Où sont tes gosses ? » (Ampelos 160 p. 15 €): «Ma mère n’était pas théologienne, aussi sa religion comprenait-elle nombre d’éléments qui provenaient directement de sa condition, écrit cet homme de bien. Tous peuvent être mis en relation avec l’irruption, imprévisible, du protestantisme dans cette famille de prolétaires du genre révolté. » Dans le quartier Charonne, les salauds ne devaient pas faire de vieux os.
Dans la commune de Vabres, département du Tarn, on peut penser qu’il en allait de même. «Je viens d’un village qui a été fait Village Juste de France par Yad Vashem, explique Catherine Vieu-Charier, protestante qui fut jusqu’en 2014 adjointe au maire de Paris. 71 juifs ont été sauvés par les habitants de Vabres et depuis que je suis née, j’ai été baignée par les valeurs de solidarité, de fraternité. Je ne suis pas croyante, mais j’ai grandi avec l’idée que ceux qui croyaient en Dieu et qui vivaient à cette époque avaient agi ainsi parce que cela faisait partie des Commandements.»
C’est par le protestantisme que cette femme rigoureuse a découvert le communisme. Cela peut paraître paradoxal, mais cet engagement d’une vie prend ses racines dans le respect de la solidarité, l’amour du prochain que la Réforme a diffusés dans sa famille. Catherine Vieu-Charier fait partie du Comité français pour Yad-Vashem, elle vient d’intégrer la commission « Mémoire et transmission » de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
De nos jours, il semble que la confusion s’installe à chaque instant. L’antisionisme de l’extrême gauche masque mal une tendance antisémite, quand Marine Le Pen se présente en rupture avec les vieux amis de son père.

« Je n’aime pas que l’on mélange le conflit israélo-palestinien avec la Shoah, d’abord parce que ces événements n’ont rien à voir, ensuite et surtout parce que leur amalgame permet l’antisémitisme, observe Catherine Vieu-Charier. Le Parti Communiste est très clair sur ce point. Mais ce n’est pas toujours le cas des responsables de la France Insoumise. Je ne sais pas si Jean-Luc Mélenchon est antisémite, mais ses postures encouragent une partie de son entourage à l’être. Et c’est d’autant plus grave que, pendant ce temps, les dirigeants d’extrême droite se taisent sur ce chapitre- sans en penser moins sans doute. »

Nous voici bien loin du Paris de 1942. Digression de fortune, au fil de la plume, vertige du bloggeur emporté par un élan. Reprenons nos billes et résumons. Le courage est une affaire de circonstances mais aussi de culture. Instruire, instruire, instruire, c’est élever, lutter contre les préjugés, détruire les sornettes à deux sous. Ce n’est pas une garantie, mais c’est un bon début. La leçon vaut toujours.