Nous assistons à la fin de la société de classes. Jusqu’aux années 80, à peu près, nous pouvions aborder les injustices de notre organisation sociale avec l’idée que la solidarité de la classe ouvrière pouvait mettre un frein aux appétits de profits des classes dominantes ; que celles-ci, au nom de leurs intérêts bien compris, savaient jeter du lest lorsque cela devenait nécessaire. Le marxisme apportait les concepts nécessaires pour penser les mécanismes du capitalisme et offrait le rêve d’une société enfin débarrassée de toutes les formes d’injustice.
La chute de l’URSS, la déconfiture des Partis Communistes, le matraquage idéologique des « penseurs » du libéralisme ont privé une partie de nos concitoyens des grands récits qui leur permettaient de lutter pour un avenir meilleur. On a assisté à un triomphe de l’individualisme, à l’émiettement des solidarités de classe, à l’oubli des raisons que l’on avait de s’unir pour lutter contre les injustices. « Les inégalités multipliées et individualisées ne s’inscrivent dans aucun ’grand récit’ susceptible de leur donner sens, d’en désigner les causes et les responsables, d’esquisser des projets pour les combattre. »
Ces nouvelles inégalités dont nous pouvons faire l’expérience en tant que femme, en tant que jeune, en tant que migrant, en tant que travailleur précaire, en tant que vivant dans une mégapole ou dans une banlieue éloignée ou dans une campagne isolée, en tant que vieux etc, suscitent bien des sentiments d’injustice mais sont difficilement intégrables dans un mouvement d’ensemble qui pourrait les fédérer dans une lutte pour une société véritablement nouvelle. D’où l’expérience d’une société bloquée où même les possibilités pourtant réduites de mobilité sociale qui existaient avant ne sont plus au rendez-vous. Ce que les combats des décennies précédentes avaient réussi à obtenir ou à maintenir tant bien que mal ne produit plus aucun résultat : ainsi le développement de la scolarité, l’ouverture des universités à […]