L’éditorial du numéro de Pâques du « Monde » avait pour titre : « Coronavirus : les religions à l’épreuve du confinement i » et s’est interrogé sur la façon dont les confessions religieuses pouvaient, pendant cette période exceptionnelle de confinement, permettre aux fidèles de pratiquer malgré la suspension de tout regroupement. Pour « Le Monde » c’est un défi collectif sans précédent puisque, comme il le rappelle avec justesse, « la religion … est ce qui relie les membres d’une communauté entre eux, et les hommes à Dieu » … et que les religions « font du collectif une dimension incontournable de leur pratique ».
Mais quels liens et quelle pratique ?
Le prophète Esaïe interpellait déjà la pratique religieuse de son peuple qui se donnait bonne conscience en pratiquant le jeûne :
« Est-ce en cela que consiste le jeûne tel que je l’aime, le jour où l’on se prive ? Courber la tête comme un roseau, revêtir l’habit de deuil, se coucher dans la poussière ? Est-ce vraiment pour cela que vous devez proclamer un jeûne, un jour qui me sera agréable » ?
Et c’est à une toute autre pratique religieuse qu’il les invite :
« Le jeûne tel que je l’aime, le voici, vous le savez bien : C’est libérer les hommes injustement enchaînés, c’est les délivrer des contraintes qui pèsent sur eux, c’est rendre la liberté à ceux qui sont opprimés, bref, c’est supprimer tout ce qui les tient esclaves.
C’est partager ton pain avec celui qui a faim, c’est ouvrir ta maison aux pauvres et aux déracinés, fournir un vêtement à ceux qui n’en ont pas, ne pas te détourner de celui qui est ton frère ii ».
C’est à une toute autre pratique religieuse qu’il nous invite aujourd’hui encore :
Celle de l’engagement pour la justice et de la mobilisation contre toutes les oppressions. Celle de la lutte pour la liberté de tous ceux que les systèmes politiques et économiques oppriment.
Solidarité et interpellation
Celle de ce collectif de syndicats et d’associations -dont le CCFD Terres Solidaires- qui se mobilisent pour « le jour d’après » exigeant la suspension immédiate du versement par les entreprises de dividendes et la décision de ne pas utiliser les 750 milliards d’euros de la BCE pour alimenter les marchés financiers mais uniquement pour financer les besoins sociaux et écologiques des populations.
Celle de l’attention à l’enfant, la femme que les coups du père et du mari écrasent. Celle des familles en recherche d’asile. Celle du partage du pain, du temps et de l’espérance que continuent à mettre en œuvre malgré le confinement des milliers de petites associations chrétiennes, musulmanes, juives ou non croyantes, loin des caméras du jour de Pâques, comme le font les Fraternités de la Mission Populaire :
Celle de la Belle de Mai à Marseille qui a mis sur pieds avec d’autres partenaires associatifs un réseau de solidarité entre habitants.
Celle de la Maison Verte dans le 18e arrondissement de Paris qui continue, avec mille précautions, à distribuer leur courrier aux sans-domicile.
Celle de Trappes qui prend soin, avec d’autres associations de la ville, des familles de réfugiés hébergées dans un hôtel social, …
Pas une épreuve mais un défi
Le confinement n’est pas une épreuve pour les religions mais un défi pour ne pas se tromper de pratique.
Une pratique qui se résume aujourd’hui dans cet appel si simple, si fort, si juste et si nécessaire du pape le jour de Pâques et que nous sommes appelés à écouter et à relayer sans relâche :
Dans un monde « opprimé par la pandémie, qui met à dure épreuve notre grande famille humaine… que soient relâchées les sanctions internationales qui empêchent les pays qui en sont l’objet de fournir un soutien convenable à leurs citoyens ». « Que soit réduite, sinon carrément annulée la dette qui pèse sur les budgets des pays les plus pauvres… et qu’un cessez-le-feu mondial et immédiat » ait lieu « dans toutes les régions du monde… car ce n’est pas le temps de continuer à fabriquer et à trafiquer des armes, dépensant des capitaux énormes qui devraient être utilisés pour soigner les personnes et sauver des vies ».
La philosophe Simone Veil commentait ainsi la parabole du Bon Samaritain : « Un homme n’a pas trop de tout son pouvoir d’attention pour être capable simplement de regarder ce peu de chair inerte et sans vêtements au bord de la route. Ce n’est pas le moment de tourner la pensée vers Dieu… Il y a des moments où penser à Dieu nous sépare de Lui iii».
Ce temps de confinement rappelle à tous croyants qu’il y a des moments où célébrer Dieu nous éloigne de Lui.