Les mesures sanitaires ont entraîné la fermeture de tous les lieux culturels depuis un an. Pour faire face à cette situation inédite, les acteurs du secteur n’ont pas eu d’autres choix que de s’adapter.

Visites de musée virtuelles, concerts filmés dans un salon, captations d’opéras sans publics sur le velours rouge des sièges, films à la demande… En un an, l’accès à la culture s’est vu modelé par la crise, contraint de se virtualiser pour ne pas disparaitre complètement. Cette dynamique avait commencé avant la crise sanitaire mais s’est accentuée avec elle. C’est ce que démontre une étude réalisée pendant le premier confinement par le Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) et publiée par le Département des études de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture. Le centre a interrogé des Français de plus de 15 ans sur leurs pratiques culturelles, c’est-à-dire toutes les formes de rapport à la culture qu’ont les individus : consultation de ressources numériques et des réseaux sociaux pour y trouver des produits culturels, consommations culturelles diverses et pratiques en amateurs.

Une hausse des pratiques en amateur

Comparés à ceux de l’enquête Pratiques culturelles réalisée en 2018, les résultats révèlent que les séniors et les classes populaires ont exploré de nouveaux usages culturels en s’emparant des outils numériques. « On constate qu’il y a eu une augmentation très forte de l’usage des réseaux sociaux pendant le confinement, explique Anne Jonchery, co-autrice de l’étude. Elle est essentiellement portée par ceux qui en étaient les plus éloignés, à savoir les 60 ans et plus, et les classes populaires. » Même dynamique du côté de la consommation de vidéos en ligne, de jeux vidéo et de visites de musées virtuelles. Mais une autre augmentation vient tempérer cette virtualisation du rapport à la culture : l’augmentation des pratiques culturelles en amateur – danse, apprentissage d’un instrument de musique, broderie…- chez les 15-24 ans, ainsi que chez les ouvriers et les non diplômés. « On constate une intensification de ces pratiques, détaille Anne Jonchery. Les jeunes ont toujours été ceux qui avaient le plus de pratiques culturelles, mais c’était en déclin depuis plusieurs années. Là, on constate un réinvestissement. » Qui plus est, l’étude révèle une plus grande consommation de produits et pratiques culturelles pendant le confinement dans les familles et les colocations. Vivre à plusieurs sous le même toit semble donc être un élément qui pousse à consommer de la culture. Pour la partager notamment.

Car notre rapport au culturel, à l’art, joue un rôle dans notre sociabilité. « Lorsque je vais au musée, j’y vais parce que je suis attiré par ce que je vais y trouver. Mais si je suis attiré, c’est peut-être parce que le groupe auquel j’appartiens, ou auquel je m’identifie y est attiré. En y allant, j’adhère à un projet humain, collectif », explique Agée Celestin Lomo Mhyaziom, historien, socio-anthropologue et responsable scientifique de la formation en art thérapie de l’université de Strasbourg. « Je ne pense pas que le tout numérique soit la panacée en matière de culture, de rapport à l’art, poursuit-il. L’Homme est fait de sens, il a besoin de voir, d’entendre, mais aussi de toucher, de sentir. De sentir la vibration d’une salle en tant que spectateur par exemple. Il y a l’expérience artistique, mais il y a aussi comment on la vit. Quand on va voir un spectacle, il y a une dimension rituelle. On achète son billet, on se prépare, on s’habille d’une certaine manière, on adopte une certaine attitude. On participe à quelque chose. Cette ritualisation nous relie à un groupe. »

Or si le monde culturel propose toujours plus de contenus disponibles sur le web ou au format numérique, il est une chose qu’il ne peut encore faire vivre au spectateur : cette socialisation si particulière et ces rires, ces larmes, ces sursauts qui naissent du partage d’un concert, d’un opéra, ou d’un film.