L’impasse est au coin de la rue. La nomination de Sébastien Lecornu – le terme barbare de renomination n’évoque-t-il pas, que les moutons, les vaches et les chèvres nous pardonnent, quelque rumination ? – risque de produire les mêmes effets que ceux provoqués par sa démission. Cette phrase elle-même traduit le biscornu de la situation. Bien sûr, il arrive que des miracles se produisent. Mais à l’heure actuelle, on ne voit guère de lueur à l’horizon. Pour y comprendre quelque chose, Regards protestants s’est tourné vers l’historien Arnaud Teyssier, spécialiste du gaullisme et de la Ve République.

Une République en suspens

« Le protestant Thomas Carlyle (1795-1881), observateur critique de la vie politique de son temps, dénonçait la tyrannie de l’absence de gouvernement – ou d’un gouvernement qui n’avait d’autre objectif que son propre maintien – parlait même d’anarchie constituée, nous déclare pour commencer notre interlocuteur. Nous n’en sommes pas loin. Après avoir accepté la démission de son Premier ministre, Emmanuel Macron l’a chargé d’une mission, puis cette mission terminée, semble avoir doublé le travail accompli en recevant les chefs de partis – mais pas tous – enfin nomme de nouveau Sébastien Lecornu. Pour dire les choses de manière un peu crue, le président se défile, alors même que sa fonction le désigne comme la clé de voûte du dispositif. »

Arnaud Teyssier, pour illustrer son propos, rappelle que, par l’article 5 de notre constitution, le Président de la République « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. » Si la continuité de l’Etat, pour le moment, ne fait guère de doute, il est permis de s’interroger sur le reste.

Une Ve République minée par les travers de la IVe ?

A bien des égards, le blocage auquel nous assistons ressemble à ce qu’ont pu vivre nos parents et grands-parents de 1946 à 1958, au temps de la quatrième République, un régime à juste titre baptisée par l’historien Maurice Agulhon – encore un protestant… Qu’y pouvons-nous ? – « La mal aimée ». Si la valse des ministères n’a pas encore atteint, durant ce quinquennat, les records d’un régime en déliquescence, elle s’en approche. « Encore faut-il souligner qu’à l’époque l’administration, solide, assurait la continuité de l’Etat dans le cadre d’une souveraineté que nulle ne discutait, fait remarquer Arnaud Teyssier. De nos jours, elle (la France ?) est très affaiblie par la disparition ou l’affaiblissement des corps intermédiaires ; les coupes budgétaires dont elle a fait les frais depuis dix ans, la dépendance à l’égard des instances européennes ajoutent à son impuissance. J’ajoute que, durant les années 50, le contrôle sur l’exécutif était plus fort. Aujourd’hui, nous cumulons les inconvénients de la quatrième et de la cinquième république : une instabilité gouvernementale doublée de la puissance d’un exécutif qui ne rend pas de comptes. Nos institutions n’ont pas été faites pour protéger le pouvoir mais pour lui permettre de gouverner. Ce n’est pas du tout la même chose. »

Le sentiment de vide politique

De là naît le sentiment d’un vide politique et, chez nos concitoyens, le sentiment d’être laissés à l’abandon. Certes, les optimistes espèrent que la crise actuelle oblige enfin les partis politiques situés entre le Rassemblement National et La France Insoumise à faire des compromis, puis créer cette grande alliance – « à l’Allemande » comme on dit – qui règlerait enfin les problèmes les plus graves que traverse le pays. Mais les déclarations d’Edouard Philippe et, dans une moindre mesure, celles de Gabriel Attal, n’ouvrent guère la porte à cette option. Le soutien sans participation des Républicains, l’exigence des socialistes de la suspension de la réforme des retraites augurent mal de l’émergence d’une telle coalition.

La difficulté de trouver un compromis

« La comédie à laquelle nous assistons depuis des mois n’est que la mise en abîme de cette recherche d’un hypothétique compromis, regrette Arnaud Teyssier. De la même façon, ceux qui préconisent l’instauration du scrutin proportionnel doivent prendre conscience que ce système ne ferait qu’instituer le blocage auquel nous assistons. Quand un Premier ministre démissionnaire déclare que la seule majorité absolue est celle qui rejette la dissolution, comment nos concitoyens ne pourraient pas en conclure que les députés n’ont d’autre objectif que de préserver leur siège ? »

Lassitude des citoyens et présidence à bout de souffle

Au café du commerce comme dans les repas de famille ou d’amis, domine une grande lassitude. Les politologues et les journalistes se passionnent encore, mais la plupart de nos concitoyens ont décroché. Le « grand peuple politique » dont parlait Sébastien Lecornu mercredi dernier sur France 2 semble se retirer du jeu. Désarroi ? Colère froide ?

« La seule question qui vaille est celle de l’intérêt vital de la France, estime Arnaud Teyssier. Certains prétendent qu’en cas de nouvelle dissolution nous aurions les mêmes problèmes. Nous verrons bien. La souveraineté populaire ne devrait pas faire peur à ceux qui sont en charge de la représentation nationale. En vérité, seule l’élection présidentielle débloquera la situation. Peut-être faudra-t-il, à cette occasion, chercher le moyen de revenir sur le quinquennat. Bien que le raccourcissement de la durée du mandat ne soit pas seul responsable du brouillard institutionnel où nous nous trouvons, force est de constater qu’il a contribué à l’effacement du Premier ministre et, d’une façon paradoxale, fait descendre le Président d’un échelon, en l’empêchant de donner avec la hauteur nécessaire des perspectives à long terme. »

Emmanuel Macron vient de partir pour l’Egypte. Puisse-t-il ne pas oublier cette phrase prophétique : « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste : on jette enfin de la terre sur la tête et en voilà pour jamais. » Quand la mort politique est annoncée, la lecture d’un janséniste a sa vertu.

A lire : Arnaud Teyssier : « Charles de Gaulle, l’angoisse et la grandeur » Perrin 656 p. 26 €

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