Quand nous observons le monde et les tensions divisant nos sociétés, nous ne pouvons que constater le recul constant de la fraternité (mot que je préfère à celui de solidarité). Nous condamnons l’agression russe en Ukraine, la famine à Gaza, nous oublions celle qui accable le Soudan, les massacres en RDC ou la situation des femmes en Afghanistan, mais pour chacun de nous cela ne se traduit pas (sauf dons à certaines ONG) par la reconnaissance que ces victimes sont nos frères et sœurs et que si nous étions nés dans ces pays, nous subirions ces violences. Ces réalités nous paraissent extérieures à notre vie quotidienne.
Sur le plan national, le chacun pour soi prédomine. Nous sommes conscients de la situation de nos finances publiques mais considérons que c’est à d’autres de faire les efforts nécessaires. À chaque proposition d’économies, ceux qui sont concernés se mobilisent pour expliquer pourquoi la mesure envisagée serait injuste.
Nous ne nous émouvons pas vraiment de la présence de tant de personnes à la rue et contribuons très insuffisamment aux associations qui se mobilisent pour les aider. Comment accepter que des hommes, des femmes, des enfants dorment dans la rue ? La fraternité serait d’accepter des efforts individuels et collectifs pour lutter contre la pauvreté et les inégalités, et nous les refusons.
Il est temps de rappeler qu’une nation, c’est une « volonté de vivre ensemble », comme l’écrivait Ernest Renan. Cela implique de redonner vie à la fraternité qui devrait devenir sous toutes ses formes la première de nos priorités. Sans fraternité notre société implosera, le monde implosera. Sans attention à notre prochain, comment vivre en société et dans la mondialisation caractérisant ce XXIe siècle ? Sachons réagir quand il est – peut-être – encore temps.
Christian Philip, recteur et professeur des Universités, ancien député, pour « L’œil de Réforme »