Revenons d’abord à madame de Staël puisqu’il s’agit de liberté. Dans un ouvrage monumental, « Considérations sur la Révolution », réédité voici cinq ans (« Germaine de Staël, la passion de la liberté », collection Bouquins, 1056 p. 32 €), la fille de Necker écrit ceci :
«Les Français, dit-on, sont frivoles, les Anglais sont sérieux ; les Français sont vifs, les Anglais sont graves ; donc il faut que les premiers soient gouvernés despotiquement, et que les autres jouissent de la liberté. » L’auteur, critiquant les poncifs de son temps, ne manque pas la cible: «Certaines idées communes, mises en circulation, sont souvent ce qui égare le plus le bon sens public, parce que la plupart des hommes les prennent pour des vérités. Tous les pays, tous les peuples, tous les hommes sont propres à la liberté par leurs qualités différentes : tous y arrivent ou y arriveront à leur manière.
Des concessions sur le terrain des libertés
Comment ne pas songer, lisant ces lignes, aux ravages provoqués par les médias qui se prétendent populaires et qui diffusent des mensonges pour mieux faire triompher leurs intérêts particuliers? Nos concitoyens se laissent prendre à ce jeu mortifère et, triste résultat, se déclarent, sondages après sondages, favorables à des concessions sur le terrain des libertés pourvu que l’ordre social soit assuré.
«Je crois que ces comportements contemporains remontent à très haut, nous déclare l’historien protestant Laurent Theis. La culture politique française est fondée sur un Etat monarchique ancien, sur une forte pénétration du catholicisme ; le libéralisme économique et le libéralisme politique, dans notre pays, n’ont jamais fait bon ménage. Dès lors, le libéralisme étant nourri par la culture du compromis, de la raison, de la réforme, il n’a pas trouvé sa place en France. Encore aujourd’hui, ce terme est perçu comme un instrument tout pratique, pas davantage. »
On peut s’étonner de voir quelques grandes figures de la pensée libérale des années soixante-dix et quatre-vingts se tourner soit vers une radicalité presque révolutionnaire – une démarche qui s’accompagne parfois d’une repentance qui laisse un brin songeur– soit d’un retour à l’Eglise du charbonnier.
« Prenant conscience du fait que la culture de la transaction ne convainc pas, certains intellectuels cherchent des soubassements forts pour exister, le point d’appui cher à Archimède se dérobant sous leurs pas, souligne Laurent Theis. Les uns pensent le trouver au Ciel, quand les autres puisent dans la dialectique de la lutte des classes un moyen de penser l’avenir. »
Dans un tel paysage, les protestants peuvent-ils faire entendre une voix singulière ? Oui, d’évidence. A condition de ne pas eux-mêmes oublier ce qui fonde l’originalité de leur situation.
« Nous constituons une petite minorité qui peut se faire connaître dans un système de liberté d’expression politique, analyse Laurent Theis. Attention quand même à ne pas être dupe de ce que cela implique : parce que nous n’avons jamais eu à assumer la collusion entre la responsabilité des affaires de l’Etat et la religion, nous pouvons nous ébrouer à notre aise sans trop nous préoccuper du gouvernement des choses. Mais notre forme de vie en commun, notre culture synodale articulée sur le double respect des règles et du débat, notre goût du compromis, pourraient contribuer à faire fonctionner de manière plus efficace le régime représentatif. Nous avons connu un précédent : celui de Guizot. Pour lui, la société devait être gouvernée, la liberté sans autorité conduisant à l’anarchie, l’autorité sans liberté provoquant le despotisme. En défendant cette dialectique, nous pouvons apporter notre part au débat collectif. »
Au lieu de soutenir de tristes sires épris de passions tristes – quelle tête ferait Baruch Spinoza, s’il revenait parmi nous, constatant le succès de cette expression…– sachons défendre cette belle ambition dont l’hymne national célèbre les lumières.