Grand branlebas de combat dans le service de réadaptation. Il est midi. Deux serveuses arrivent, poussant le chariot des plateaux-repas en plaisantant haut et fort ! Elles progressent alors dans le couloir, d’une chambre à l’autre, à une bonne cadence. Elles savent faire : frapper à la porte, la pousser, jeter un bonjour à la cantonade, dégager la tablette, poser le bon plateau devant la bonne personne en se fiant aux étiquettes, vite arracher les films protecteurs qui recouvrent les plats, sourire, dire un mot convivial… Le ton est enjoué, mais les voix trop forcées pour être naturelles. « Mais pourquoi crient-elles si fort ? » se plaint la dame côté fenêtre de la chambre 302. Assise près d’elle, je lui réponds : « elles disent que c’est à cause des sourds. » « Justement, je suis un peu sourde et je ne comprends pas la moitié de ce qu’elles racontent ! Cette idée qu’il faut crier fort pour se faire entendre des malentendants, une idée qui a la vie dure ! On se demande ce qu’elles apprennent à l’école ! Si elles venaient vers moi et me parlaient en face, avec une voix normale, je pourrais lire sur leurs lèvres. » Le ton est amer et les propos désabusés.

« Et dire que cela se passe à l’hôpital ! »

Elle se souvient alors des propos de la soignante de ce matin : « mais madame, vous êtes dans un service de réadaptation cardiaque, ici, on ne s’occupe pas de surdité. » Ne mélangeons pas tout, en effet ! L’hôpital, un haut lieu des spécialités, toutes plus performantes les unes que les autres et qui font pâlir les soins généralistes. Toute spécialité s’exerce pourtant sur une personne dans sa globalité, et ne peut pas faire abstraction de ses handicaps.  Prendre en compte la malvoyance, la malentendance ? Heureusement, il reste les sensibilités personnelles des soignants, leur empathie pour leurs patients, la sollicitude des visiteurs, pour adoucir les principes des systèmes de soins.