Qu’est-ce qui a changé au lendemain du 13 novembre ?

Pierre de Mareuil : Le personnel et les voyageurs ont besoin de parler après un traumatisme de ce type. Cependant, autant cela s’est fait spontanément après les attentats de janvier, autant en novembre il a fallu attendre près d’une semaine. En fait, il est vite apparu, surtout à Paris mais parfois aussi de la part de personne en transit, que chacun connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui avait été touché. Cela constituait une expérience nouvelle.
Le sentiment d’appartenir à une même communauté est renforcé sur l’aéroport où on vit dans un village. Le renforcement des mesures de sécurité, s’il rassure les passagers, a tendance à apporter une certaine fébrilité pour le personnel. D’autant que ce dernier a déjà bien conscience que son lieu de travail est une cible privilégiée pour les attaques terroristes.

Concrètement, avez-vous dû changer vos habitudes ?

P. de M. : Pour l’essentiel, rien n’a changé. À la demande du Préfet chargé de la sécurité sur l’aéroport, j’ai du annuler les concerts de Noël (hormis l’ensemble de l’Armée du Salut qui a égayé le Terminal 2 le matin de Noël). ’’La contrainte logistique avec la venue de plusieurs chorales nécessitait d’anticiper la décision. La police aux frontières, les militaires et les autres forces de sécurité étaient suffisamment sollicités pour que nous ne leur compliquions pas plus la tâche. Il faut ajouter que la COP 21 bousculait déjà beaucoup leurs missions.
Marie-Émilie Sébas : Nous avons néanmoins voulu marquer ce moment. Ainsi, après les attentats de janvier, nous avions mis en place un service interreligieux sur chaque aéroport. De nombreuses personnes étaient présentes notamment de la direction. Suite aux attentats du 13 novembre, à Orly, une rencontre interreligieuse a été organisée le 17 novembre. À Roissy, nous avons opté pour une autre forme d’écoute : un accueil a été mis en place avec l’aide des directions des aérogares sur les lieux de prière où les aumôniers étaient présents. Autour de café et de gâteaux, nous avons échangé, nous avons mieux fait connaissance. Nombreux étaient les musulmans présents qui disaient leur incompréhension face à cette barbarie. Ce moment d’accueil était fort et propice à l’ouverture à l’autre.

Cela a-t-il été compliqué à organiser ?

P. de M. : Avant l’état d’urgence, il existait déjà des contraintes. Les rassemblements nécessitent une autorisation spéciale. ’’’Il faut ensuite sécuriser les lieux, les décontaminer, c’est à dire rechercher d’éventuelles bombes, armements… Cela représente beaucoup de travail supplémentaire pour un personnel déjà sous pression. Nous avons voulu faire quelque chose pour eux cette fois-ci. Nous sommes partis du principe que les lieux de cultes étaient de toutes manières déjà sécurisés. Nous avons imaginé cette journée de permanence avec les autres aumôneries. L’horaire correspondait à la messe et, pour les musulmans, à la période entre les prières du début et milieu d’après-midi rapprochées à cette époque de l’année. Dès le commencement de la journée quatre agents de la police aux frontières sont venus discuter pendant 45 minutes. Ils étaient frappés que nous soyons ensemble.
Nous imaginons reproduire cet accueil mensuellement. La contrainte nous a obligé à être créatif pour répondre au plus près des besoins. En fait, nous étions encore plus proche de notre vocation. Le renforcement des mesures de sécurité, s’il rassure les passagers, a tendance à apporter une certaine fébrilité pour le personnel.