Les jours de brume, à l’Elysée, le Président discerne-t-il quelque présage au-delà de la grille du coq ? A-t-il une intuition, des plans cachés, dans un placard ou bien tracés sur la comète ? On peine au fil des jours à comprendre Emmanuel Macron. Les adjectifs ne manquent pas, qui qualifient l’homme fort, capable de se faire réélire après cinq années difficiles- et somme toute avec un score de premier tour enviable.
Mais le manque de clarté semble caractériser sa conduite. On peut, cuistrerie contemporaine, répéter l’adage de Retz– « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépends » – pour justifier la prudence présidentielle. Nous en avons récemment formulé l’hypothèse. Il reste que cela paraît court.
Alors nous avons sollicité le point de vue de Jean-François Sirinelli. Professeur émérite à Science Po, l’historien ne manque ni de ressources ni de distance. Il propose plus qu’il n’impose, il éclaire en libéral authentique.
« Une clarté se définit par rapport à un champ de vision, déclare-t-il d’emblée. Cette clarté peut être obscurcie par l’incertitude quant à l’avenir, mais aussi par le présent, c’est-à-dire un environnement qui soit particulièrement opaque. Il faut donc analyser le président Macron en situation, pour reprendre l’expression qu’employait Jean-Paul Sartre au sujet des personnages de théâtre ou de roman. Certes, il existe une part de tactique ou de stratégie dans ce qu’un chef d’Etat dit de la clarté ou d’absence de clarté. Mais encore faut-il savoir par rapport à quoi. Force est de constater que le paysage est particulièrement sombre. »
La guerre en Ukraine et ses conséquences militaires, économiques et morales au sein de l’Union européenne, à l’intérieur de notre pays les soubresauts d’un débat public de plus en plus virulent, bien sûr aussi la fragilité de la majorité présidentielle au Parlement, tout se combine pour rendre incertain le contexte politique.
« Entre la clarté et le don divinatoire, il y a un pas qu’un homme politique ne peut pas franchir, observe Jean-François Sirinelli. Cependant, sous la Cinquième république, un président doit être thaumaturge. Il ne guérit plus les écrouelles, mais il doit être à même de sortir le pays des crises les plus graves et dire la route. »
On parle d’ailleurs d’onction du suffrage universel et l’ancien ministre Michel Jobert (1921-2002) disait qu’une personne élue à la fonction suprême ne marchait plus de la même manière, comme s’il était investi d’une force intérieure nouvelle. Or, aujourd’hui, que voyons-nous ?
« Trente-trois ans après les événements de 1989, qui ont fait croire à certains que la démocratie libérale avait définitivement triomphé, nous constatons que ce régime est en bute à des dictatures – je songe à la Chine et la Russie – mais encore à des régimes qui respectent l’apparence des systèmes démocratiques mais n’en respectent ni les valeurs ni la pratique, analyse Jean-François Sirinelli. A cela s’ajoutent les populismes -un mot valise que l’on pourrait critiquer mais qui reste commode- altérations endogènes très en vogue. Il y a désormais une interrogation, à l’échelle de l’Histoire, sur l’avenir de la démocratie libérale.»
Face à ces puissants mouvements, dont on trouve des prolongements dans notre pays, le président Macron renoue, peut-être sans en avoir conscience, avec la démarche des chefs politiques de la quatrième république, lesquels avaient constitué, contres les gaullistes à droite et les communistes à gauche, ce que l’on appelait « La troisième force ». Qu’est-ce d’autre que le mouvement « Renaissance » ? On y trouve des démocrates-chrétiens, jadis incarnés par le MRP, d’anciens élus de droite, comme autrefois des Indépendants, des radicaux et des socialistes convertis, tout comme entre 1946 et 1958.
Attention quand même. Un tel projet risque de ne pas convenir, l’expérience évoquée plus haut devrait nous le rappeler, pour affronter la guerre ou une crise majeure. La façon dont le président de la République désigne ou traite ses différentes oppositions, motivée sans doute par la nécessité de ne pas disparaître sous leurs coups, le prive de la possibilité de constituer, en cas de drame de grande envergure, une éventuelle Union nationale.
« L’appel sur le tarmac d’un aéroport entre les deux tours des élections législatives, que l’on sentait comme une déclaration tactique, demeure imprimé dans l’opinion, remarque Jean-François Sirinelli. Cela ne simplifie pas la tâche du Président face à l’avenir. Mais de manière ontologique, c’est le « en même temps » qui demeure un problème, et je le dis sans esprit de polémique. Pour donner de la clarté à une politique, il faut faire comprendre aux citoyens la clarté des convictions qui vous animent. En prétendant associer ce qui se contredit, le président de la République, dans ces moments-là, risque d’obscurcir plus que d’éclairer.»
La clarté suppose une prise de risque dont tout le monde n’est pas capable d’assumer le coût. Le 25 avril 1969, deux jours avant le référendum dont le résultat devait provoquer sa démission, le général de Gaulle quitta l’Elysée pour la dernière fois. Par la grille du coq…