Je me suis longuement demandé, pendant le confinement, quel serait le retentissement de cet épisode hors norme dans les choix politiques des Français (et des autres).
A l’heure où je commence à écrire ce post, dimanche soir, la télévision tourne en fond et rapporte, les unes après les autres, des victoires des listes écologistes qui étaient, certes, possibles au vu des résultats du premier tour, mais qui étaient, pour plusieurs d’entre elles, improbables.

Je fais le point, lundi matin. La liste est impressionnante : Lyon ainsi que la métropole lyonnaise, ce qui était plutôt attendu ; mais également (par ordre de population décroissante), Strasbourg, Bordeaux, Tours, Poitiers, Annecy, Besançon, Poitiers, Colombes. Par ailleurs Eric Piolle qui fait, aujourd’hui, figure de précurseur, a été réélu à Grenoble.

A Marseille la situation reste incertaine. La liste du Printemps Marseillais, emmenée par l’écologiste Michèle Rubirola, mais qui, dès le départ, avait noué des alliances très au-delà du périmètre d’EELV a gagné la majorité relative, mais pas la majorité absolue. A Paris et dans plusieurs autres grandes villes, c’est la situation inverse : quand les socialistes ont accueilli une partie des listes écologistes, entre les deux tours, ils ont fait le plein de voix. A Lille, Martine Aubry ne passe que d’extrême justesse après avoir, elle, refusé ce type d’alliance.

L’indice d’une prise de conscience de la fragilité de notre société et de nos choix de vie

C’est juste un indice. Il est beaucoup trop tôt pour parler d’une tendance de long terme, surtout au vu du taux d’abstention très élevé de ce deuxième tour qui a forcément pesé sur les résultats. En plus il ne faut pas confondre élection locale et élection nationale.

C’est donc juste un indice, mais un indice suggestif. Cela confirme une impression que j’ai eue (mais qui, comme toute impression, devait se frotter aux faits) : beaucoup de personnes se sont rendu compte que nous sommes plus vulnérables devant les phénomènes naturels que nous ne l’imaginions. Il y a eu, en quelque sorte, un écho indirect à ce que disent les scientifiques depuis plusieurs années. Même si on n’a pas rattaché l’épidémie de COVID-19 au réchauffement climatique, par exemple, c’est le tableau d’ensemble des risques que nous courons qui est devenu réalité. Il est devenu palpable que nous sommes dans un environnement menacé et qui finira par nous menacer nous-mêmes, si nous n’y prenons pas garde.

Par ailleurs, la parenthèse forcée dans nos activités, a fait prendre conscience, à certains, que nos choix de vie spontanés avaient quelque chose d’arbitraire et de futile. Ensuite, l’entraide, la solidarité, la mobilisation des ressources locales, qui ont fonctionné au plus fort de la crise du coronavirus a redonné un sens aux réseaux de proximité. Pour une partie des électeurs de gauche lassés par une social-démocratie en mal de projet et souvent cantonnée à des coups de pouce dans des arbitrages économiques complexes, cela constitue un horizon motivant.

Des mouvements locaux qui vont, désormais, devoir s’affronter aux contraintes de la gestion… et c’est une bonne nouvelle

J’ai souligné, la semaine dernière, que les listes écologistes et leurs alliés avaient fait l’objet, dans la dernière ligne droite, d’accusations d’incompétence et d’irresponsabilité plutôt nauséabondes. Manifestement tout cela a laissé les électeurs de marbre. Les résultats du premier tour étaient déjà bons pour les écologistes. Entre temps la dynamique s’est amplifiée.

Mais, bien sûr, les contraintes de la gestion municipale seront là. Et c’est tant mieux.
Je relis, à ce propos, ce que j’ai écrit, ici même, le 16 mars, au lendemain du premier tour : « la bonne nouvelle est la percée massive des listes écologistes dans les grandes villes. C’est une bonne nouvelle pour les villes en question, mais c’est surtout une bonne nouvelle pour le mouvement écologiste. Eric Piolle, qui s’est confronté à la gestion de la ville de Grenoble pendant 6 ans (et qui est en passe d’être reconduit) avait souligné, avant les élections, à quel point le mouvement écologiste devait apprendre à gouverner. Quand une minorité protestataire passe au moment de bascule où elle peut devenir une majorité (ou, au moins, une force politique importante), il faut qu’elle change de logiciel. Et cela n’a rien d’évident. Eh bien gageons que plusieurs équipes auront l’occasion d’apprendre sur le terrain, les contraintes et les joies de l’exercice des responsabilités ».

Ce petit commentaire est plus que jamais d’actualité. L’exercice du pouvoir provoque toujours des déceptions et je ne vois pas pourquoi les écologistes feraient exception à cette règle. Mais il est clair, pour bon nombre d’électeurs, aujourd’hui, que le « green washing » et les mesures d’inspiration écologistes prises au compte goutte ne sont pas une réponse adéquate aux réalités qui nous menacent.

Agir face à des remises en question radicales, l’exemple du prophétisme dans l’Ancien Testament

Tout cela ne sera-t-il qu’un feu de paille ? C’est possible. Mais cela veut quand même dire que l’épidémie de COVID-19 a été perçue comme un avertissement, comme l’occasion pour chacun de se questionner.

Cette dynamique me fait penser au message des prophètes dans l’Ancien Testament. Ils multipliaient les mises en garde, en disant que l’égoïsme, la poursuite de l’enrichissement aveugle et la célébration du dieu Baal, dieu des bonnes récoltes et de l’abondance à tout va, menaient les israélites dans le mur. Parfois ils étaient entendus, souvent ils étaient ignorés, souvent leur message était suivi transitoirement puis ignoré à nouveau. Mais il y a, dans la série des livres prophétiques, l’histoire pleine d’humour de Jonas, qui est presque consterné parce que les habitants de Ninive le prennent au sérieux et décident de se remettre en question pour de bon.

Il arrive que les questionnements profonds soient entendus et qu’ils soient suivis d’effet. La suite dira dans quelle configuration nous sommes aujourd’hui.