Nous sommes le 14 janvier 2025, il est quinze heures, et François Bayrou se hisse à la tribune de l’Assemblée nationale. Ainsi son heure a-t-elle sonné. Nous pourrions écrire « enfin », mais ce n’est peut-être qu’un début. Pour exercer des responsabilités politiques de premier plan, mieux vaut posséder deux qualités : la ténacité et l’indifférence à l’adversité. Nous renvoyons les novices en la matière au chef d’œuvre de Régis Debray : « Loué soient nos seigneurs », chapitre 3, « Conseils aux jeunes générations ».

Le fond et la forme du discours

Nous pouvions attendre un discours solennel, étant donné l’urgence et les menaces qui pèsent sur notre pays. Tout au contraire, François Bayrou a donné de la souplesse à sa prise de parole, usant parfois d’un ton badin, non par désinvolture, mais sans doute pour dédramatiser la situation qui est la sienne. Les nombreux lapsus, les maladresses d’expression, le silence même qu’il dut observer quand il s’est rendu compte qu’il avait mélangé les feuilles de son discours, ont pu surprendre, inquiéter ses partisans. La construction baroque de son intervention publique a pu, elle aussi, laisser pantois : de nombreux retours en arrière, des commentaires d’actualité s’intercalaient dans la présentation des projets. Mais ce qui pouvait apparaître comme une faiblesse traduisait plutôt la confiance d’un homme politique pour qui l’essentiel se trouve dans les convictions, l’action, la volonté.

François Bayrou gouverne dans une situation de fragilité considérable, sous la tutelle d’un Président blessé – dans son orgueil en particulier – mais qui conserve toutes ses prérogatives.

Mais qu’il n’ait pas les mains totalement libres, d’une façon paradoxale pourrait lui être un avantage : il joue des contraintes comme on s’appuie sur des parois pour progresser le long des roches, utilise le talent de ses ministres avec une confiance décuplée, que l’expérience maquille en bonhommie.

Surendettement, réforme des retraites, grand débat…

D’emblée, le Premier ministre a désigné le surendettement de la France comme le problème majeur auquel notre pays doit faire face. Il a poursuivi son discours en décrivant la situation du système de retraite par répartition. Dans les deux cas, François Bayrou a voulu alerté nos concitoyens sur les périls communs. Distinguant l’endettement, qu’il décrit comme injuste et insupportable de l’investissement, qui permet de se projeter dans l’avenir. « Problème social et moral » suivant ses propres mots, l’endettement doit être abordé, selon lui, par le biais de la réforme des retraites. Mais tenant compte des blocages possibles, François Bayrou choisit de remettre en chantier la réforme des retraites : à parti d’une « mission flash » remplie par la Cour des comptes, le Premier ministre propose un grand débat, incluant les partenaires sociaux jusqu’à l’automne. Evitant de choisir entre la suspension, la suppression et le maintien de la réforme votée l’année dernière, François Bayrou s’est doté d’un dispositif qui pourrait lui permettre d’échapper à la censure, voire obtenir la relative bienveillance de ses opposants de gauche.

Cela suffira-t-il ? Nous verrons bien. Mais les interventions des représentants des différents groupes de députés, les commentaires formulés par différents élus mardi soir laissent augurer des lendemains difficiles au Premier ministre.

« Il est étonnant qu’ayant eu l’occasion de démontrer sa hauteur de vue, le président du Modem ait été si brouillon, remarque Pierre-Emmanuel Guigo, maître de Conférences à l’Université Paris-Est Créteil. C’était le jour et l’heure de François Bayrou. Et qu’a-t-il prononcé ? Un discours déconnecté de l’évolution récente du monde et finalement très brouillon. De Michel Barnier, on pouvait critiquer les prises de position, mais au moins paraissait-il charpenté. Là, nous n’avons rien entendu que des propositions vagues ou trop générales pour entraîner, convaincre. »

En déclarant sur TF1 mardi soir que le compte n’y est pas, le premier secrétaire du Parti Socialiste, Olivier Faure, a semblé rétropédalé. Même Philippe Brun, député PS parmi les plus favorables à un compromis avec le Premier ministre, estime que son groupe ne pourra pas soutenir le gouvernement.

Le Premier ministre a bien l’intention de faire mentir les parieurs qui lui prédisent une chute avant le printemps. Mais au soir de sa déclaration de politique générale, on peut se demander si cette ambition ne relève pas du miracle. Comme on dit à Lourdes…

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