« Le cabinet du psy formé à l’écoute psychanalytique est devenu le seul lieu où les personnes peuvent parler librement, dégagées des contraintes extérieures de bienséances ou de rationalité », estime Bertrand Piret, psychiatre-psychanalyste à Strasbourg. « Comme la parole religieuse, cette parole libérée participe d’une parole vraie. Elles ont la même fonction de s’ouvrir à une altérité : à l’étranger qui va devenir le proche grâce à la parole religieuse, à l’étranger en soi dans la psychanalyse – rendant ensuite possible la rencontre avec l’autre. » « Dans la démarche de foi, comme dans la démarche de psychanalyse, on cherche à combler un manque fondamental : dans le rapport à Dieu ou à la recherche du dieu intérieur, comme le disait le psychanalyste Lacan », complète Daniel Zimmer, psychiatre-psychanalyste à Barr.
Mais pour lui, psys et pasteurs sont désormais confrontés au même changement de paradigme dans la société. « Aujourd’hui, au fond, les gens ne ressentent plus de manque intérieur. La présence continuelle des écrans les en éloigne. Or il leur faut une certaine conscience de ce manque pour qu’il y ait un cheminement sur le plan spirituel comme sur celui d’un travail psychothérapeutique ou psychanalytique. Ce qui fait leur souffrance, ce sont des conflits avec le monde extérieur. Cela laisse peu de place pour un retour sur soi. Quand ils viennent voir le psy, ils sont dans la recherche de recettes rapides. »
Psys en Église
Pour rester connecté aux préoccupations de leurs contemporains, les pasteurs sont-ils appelés à devenir des psys à leur tour ? Arlette Haessig, psychologue clinicienne, qui consulte au centre social protestant de Strasbourg et en libéral à Soultz-sous-Forêt, a un temps hésité à devenir aumônier avant d’embrasser des études de psychologie. « Je suis devenue psy parce que je suis chrétienne engagée. Face à la détresse et à la souffrance rencontrées, j’ai eu la conviction que la psychologie me donnerait les outils pour écouter et accompagner. Le psychologue peut s’inscrire dans le volet diaconal de l’Église.»
Pour elle, psys et pasteurs doivent garder des rôles bien distincts et complémentaires : répondre aux demandes théologiques et religieuses, de prière, pour les pasteurs, éclairer les personnes par la lecture de la Bible ; les aider à avancer dans leurs propres questionnements et à trouver leurs propres réponses, mêmes spirituels pour les psys. « En paroisses, les pasteurs peuvent être des sentinelles et repérer les besoins d’écoute », poursuit Rachel Wolff, conseillère conjugale de l’UEPAL. « Il arrive régulièrement qu’ils me sollicitent pour conseiller un accompagnement psy à des personnes en souffrance. »
Mais dans la pratique, certains pasteurs ressentent le besoin de se former eux-mêmes à l’écoute et à l’accompagnement. Un volet spécifique d’une semaine est désormais obligatoire dans leur cursus de formation initiale. En plus, ils peuvent solliciter l’association française de formation et de supervision pastorale tout au long de leur carrière. D’après Jean-Charles Kaiser, ancien pasteur et superviseur de l’association, « de plus en plus de pasteurs sensibilisés à l’écoute sont sollicités ». Michel Weckel, aumônier à l’hôpital civil de Strasbourg, a fait lui-même une psychanalyse et s’appuie sur cette expérience dans ses rencontres : « On peut utiliser les outils de la psychanalyse sans jouer au psychanalyste sauvage. »
Pour Arnaud Stoltz, ancien aumônier des prisons revenu récemment en paroisse à Strasbourg, distinguer l’accompagnement religieux d’un accompagnement psychanalytique ou psychologique est essentiel. « Si on ne réfléchit pas à notre spécificité, on ne va rien proposer. » Pour lui, à côté de l’écoute « miroir » du psy, centrée sur l’individu, les pasteurs doivent réinvestir le champ de la relation. Mais les pasteurs ont-ils aujourd’hui le temps et l’énergie de se rendre disponibles alors qu’ils s’essoufflent dans l’action et l’animation de leur paroisse ?