Le travail permet de gagner sa vie mais pas que. Il nous fait parfois souffrir mais sans lui, on n’est malheureusement pas grand-chose dans la société. « Le travail est une valeur centrale, fondatrice de notre société, parfois jusqu’à l’excès » explique Antoine Latham, journaliste économique aux Dernières nouvelles d’Alsace dans une intervention de décembre 2013 auprès de la Commission des affaires sociales, politiques et économiques de l’UEPAL (Caspe) qui a réfléchi sur ces questions pendant plus d’une année (1). « Ce qui est galère, c’est de ne pas avoir de travail » préfère dire François Bouchard, directeur général des services au Conseil régional d’Alsace et président des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens d’Alsace. Rappelons que 10,3% de la population active est au chômage, soit 3,5 millions de gens sur le carreau. Mais les salariés ne sont pas tous à l’abri. En 2014, six embauches sur sept se sont faites en CDD, les moins de 25 ans représentant 86,4% de ce type de contrat, les 50 ans et plus, plus de 87%.(2) On parle désormais de « travailleurs pauvres » : temps partiel pas toujours désiré, petits salaires, stages non rémunérés, … Et sur les femmes pèse toujours le fameux « plafond de verre » malgré les lois et les accords dans les branches professionnelles.

Besoin de sens

Devant cet état de fait, les salariés ont pris leurs distances par rapport à l’entreprise, comme le montre une étude publiée dans Le Monde.(3) Un salarié sur cinq ne partage pas les valeurs de l’entreprise, contre un sur dix en 2013. C’est la qualité de vie au travail qui prime et la sécurité de l’emploi. « Il semble que la valeur travail ait évolué dans son contenu même, et à tous âges. Un besoin de valeurs, d’autonomie, de qualité et de sens se fait jour, même s’il n’est pas perceptible partout. Certains employeurs ont du mal à répondre à cette attente, surtout à l’endroit des plus jeunes. Des lacunes de savoir-être, de sens du collectif ou de communication peuvent susciter des malentendus assez profonds » analyse Antoine Latham.
« Pour nous, le salarié est une personne qui doit être envisagée avec tout son environnement (sa vie familiale, ses engagements associatifs, etc.) » estime Patrice Diochet, président de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) Alsace. Ce cadre chez Orange regrette que les responsables d’entreprise et les directeurs de ressources humaines ne soient pas « assez formés sur les relations sociales. » Il déplore aussi le manque de dialogue social avec les syndicats patronaux : « Nous sommes considérés comme des adversaires.» Ces derniers répondent que les syndicats de salariés sont arqueboutés sur leurs positions…

De nouveaux managements

Pourtant, la crise du modèle économique n’est peut-être pas seulement porteuse de négatif, comme le pense la philosophe et sociologue Dominique Meda. Pour elle, la réduction du temps de travail permettrait de redonner place à des valeurs non salariées (famille, association, rencontre…) C’est aussi ce que partage François Bouchard : « Je suis assez optimiste car nous sommes en train de bâtir un monde d’entreprise où un management plus humain se développe. Les relations doivent déboucher sur la motivation, moteur d’une vraie productivité vécue positivement. »
Pour Patrice Diochet, il faut être « innovant ». Les responsables doivent davantage faire confiance à leurs salariés et s’inspirer de ce qui se pratique à l’étranger : des droits rattachés directement au salarié (et pas à l’entreprise), développement du télétravail, instauration de temps de repos pour plus d’efficacité, etc.
Certaines entreprises ont développé un réel partenariat avec leurs salariés chez Sew Usocome à Haguenau, depuis 25 ans. La « Perfambiance » (contraction de performance et ambiance), inventée par cette société de fabrication en mécanique et outillage de précision, consiste à faire participer l’ensemble des salariés aux processus de décisions. « Le management, ça s’apprend mais ça se vit surtout. Il faut certes avoir les idées claires sur les comptes mais beaucoup plus sur les gens », pense François Bouchard.
Pour Denis Weymann, gérant de Grai étiquettes à Colmar, être « patron » est complexe et très intéressant à la fois. « Il ne faut pas chercher à être aimé de ses salariés mais que le courant passe. L’entreprise est une expérience humaine où l’on est une communauté. » L’avantage d’être responsable d’une société, c’est la liberté de créer et de s’accomplir dans son travail. Pourtant, ce chef d’entreprise de 20 personnes ressent parfois « un racisme anti-patron. On nous met tous dans le même panier. Mais je n’ai rien à voir avec les directeurs nommés dans les grandes entreprises qui ne prennent aucun risque et gagnent 100 000 euros par mois. Mon entreprise, elle m’appartient, j’ai mis mon argent dedans. » Et d’ajouter : « On ne voit pas les milliers de patrons payés trois fois moins que leurs salariés. Ce sont souvent des gens seuls face au fisc, aux salariés, aux clients, à la concurrence étrangère … »

Et si nous étions tous responsables du bien-être au travail ?